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Écoresponsabilité et luxe font-ils bon ménage lorsqu’il s’agit de mettre le parfum en flacon et en carton ? Si le liquide s’évapore, le flacon reste et les emballages s’amoncellent. Quant aux codes habituels du genre – blancheur immaculée, perfection du grain de papier, transparence cristalline du verre et poids de la matière pour signifier la noblesse des matériaux –, ils semblent contraires aux solutions durables… Pourtant, les techniques s’améliorent, les mentalités évoluent et certaines marques orientées vers la naturalité osent des alternatives. Quelles réponses aujourd’hui se présentent pour réconcilier l’urgence du changement et le cahier des charges des maisons de luxe ?
Objet de collection, matérialisation formelle du parfum invisible, le flacon est un message de communication puissant sur l’odeur qu’il renferme. Difficile, donc, de faire des compromis sur sa qualité, sa finition, son aspect, mais cependant, deux grandes pistes industrielles ont été creusées pour réduire l’impact environnemental de sa production. La première est de développer l’usage des flacons rechargeables, la seconde est de diminuer l’empreinte carbone de la fabrication, en passant de fours à gaz aux fours électriques ou en utilisant notamment de plus en plus de matières recyclées et recyclables.
Mais ce qu’on appelle habituellement flacon est en réalité un assemblage de différents éléments composés de matériaux hétérogènes : flacon en verre, pompe en plastique, capot en plastique, métal ou verre, sans compter les pièces de transition qui assurent l’herméticité, le flacon s’envisage sous différents angles, un véritable casse-tête de triage.
Prouesse technique et nouveau design
Commençons par la pièce principale, le corps du conditionnement, le réceptacle du liquide : le flacon à proprement parler, appelé aussi emballage primaire. Bien que de nouveaux matériaux soient récemment apparus au catalogue des fournisseurs, dont l’aluminium – hautement recyclable –, et le zamak – un alliage de zinc, aluminium, magnésium et cuivre, encore peu recyclé –, ici le verre règne. Si celui-ci est potentiellement recyclé et recyclable, en matière de luxe, les hauts standards d’excellence règnent. Et c’est là le problème ! Quand il s’agit de satisfaire des clients habitués à une exécution irréprochable, l’inclusion de verre usagé dans la recette du produit, qui change potentiellement les qualités visuelles et de façonnage, ne peut être acceptée à moins d’égaler le rendu original. Une problématique à laquelle s’est confronté le groupe Pochet, dont le pôle flaconnage, Pochet du Courval, qui fêtera bientôt ses 400 ans d’existence, est la plus ancienne verrerie française, aujourd’hui toujours autant plébiscitée par les grandes marques de luxe pour la qualité de son verre.
Elle a réussi l’exercice avec ses verres exclusifs SEVA (pour « solution écoresponsable, vision d’avenir ») : « la ligne SEVA 1 inclut 14% de verre recyclé issu de la parfumerie haut de gamme à travers des collectes spécialisées, et SEVA 3 est composée à 15% de verre PCR, c’est-à-dire issu de la consommation des particuliers, précise Anne-Sophie Legras, chef de produit marketing du groupe. Pour chacune, la transparence, la malléabilité et la couleur sont identiques à notre verre signature. » Un rendu qui a su convaincre les marques partenaires du groupe, à commencer par Viktor&Rolf et plus récemment Chanel pour l’édition limitée des 100 ans du N°5.
Il faut ici préciser que dans le savoir-faire verrier, le recyclage est déjà au programme de toute fabrication, puisque le calcin, rebut de verre, est un des ingrédients de la matière. Mais en l’occurrence avec SEVA, on atteint de hautes proportions et les chiffres annoncés excluent ce calcin. Ce pourcentage devrait aller croissant, et l’on voit déjà apparaître sur le marché des flacons composés à 40% de verre recyclé PCR, comme celui de Girl de Rochas créé par la société Verescence.
Une autre option pour réduire l’impact environnemental du flacon par l’écoconception est la diminution des parois du verre. Leur finesse a pour conséquence une réduction du poids, critère non négligeable pour le transport et le commerce en ligne. « Une innovation qu’on retrouve dans les flacons Gabrielle de Chanel ou Idôle de Lancôme, avec son flacon de 15 mm » précise Anne-Sophie Legras. Une prouesse technique qui montre que les solutions durables peuvent être à l’origine d’un nouveau style de design.
Ressourcer à domicile
Concernant le flaconnage rechargeable, la maison Mugler a été pionnière en la matière dès les années 1990 avec le lancement de la source – comme une réinvention de la fontaine en forme de vinaigrier, qu’on trouvait chez les parfumeurs du XVIIIe siècle. Concrètement, pour ce faire, il fallait se rendre en boutique pour procéder au remplissage. Désormais, sous l’impulsion d’une démarche commune des verriers, marques et fabricants de pompes, rassemblés sous l’égide du CETIE [Centre technique international de l’embouteillage], les bagues à vis se sont normalisées, concurrençant les traditionnelles bagues à sertir inviolables, et les frettes (têtes de la pompe) adaptées ont rétréci pour répondre aux codes visuels habituels. Ce perfectionnement a favorisé la croissance du ressourcement à domicile avec une réserve grand format et un flacon équipé d’une pompe dévissable. Pour accompagner ce mouvement, les recharges sont dorénavant disponibles en format nomade à acheter en boutique ou en ligne, des possibilités adoptées de plus en plus par les marques selon différentes options de remplissage. Dans un esprit upcycling, certaines maisons proposent même l’usage de flacons vintage chinés comme Floratropia, qui vend aussi des ressources minimales en forme de gourde, quand d’autres insistent pour la réutilisation durable de leurs flacons, si beaux qu’on n’oserait les jeter, comme ceux de la nouvelle collection de Dries Van Noten.
Enfin, les grandes enseignes de distribution comme Sephora, Nocibé et Marionnaud en France, proposent un service de récupération et de recyclage des flacons qui reviennent dans le circuit des maisons verrières, via des plateformes de tri spécialisées telles que Cèdre. Les clients qui utilisent ce programme obtiennent en échange un bon de réduction.
Bois et liège
Plus difficiles à recycler, le capot et la pompe font aujourd’hui l’objet de traitements spécifiques. En cause pour le premier, les inserts en plastique qui assurent l’étanchéité, mais sont difficiles à recycler. En réponse, le groupe Pochet a développé « la coiffe éternelle », un capot en aluminium muni d’un aimant, et dont toutes les parties se désassemblent pour une réutilisation du leste de l’aimant. L’enseigne Coverpla propose des capots en bois avec insert en liège pour plus d’imperméabilité. C’est également le liège qu’a adopté la marque Obvious pour ses capots sans insert, issus des chutes de production de bouchons de vin. Concernant la pompe, le plastique est largement plébiscité pour les parties internes parce qu’inerte, il évite toute interaction avec les composants du parfum. Famille inévitable encore sur cette pièce, certains types de cette matière sont plus recommandables que d’autres. Ainsi, Aptar, un des grands acteurs du domaine, a lancé en 2021 la collection InUne qui exclut le POM (polyoxyméthylène), une matière plastique controversée, à la faveur d’un accord signé avec la fondation Ellen MacArthur, qui prône l’économie circulaire et qui dénonce l’usage de certains plastiques.
En ce qui concerne l’emballage secondaire, c’est-à-dire tout ce qui entoure le flacon, pour beaucoup de défenseurs de la cause environnementale « le meilleur packaging c’est l’absence de packaging ». D’autant que les codes du luxe exigent habituellement un suremballage transparent en cellophane plié, dont la présence est le gage d’un produit intact. Dans un contexte de pandémie, sa connotation hygiénique n’est pas sans rassurer certains consommateurs, mais aujourd’hui, cet accessoire est remis en cause. Des maisons comme Fragonard revendiquent n’avoir jamais eu recours à cet artifice. Pour le carton, les maisons s’engagent de plus en plus à s’approvisionner dans des forêts gérées durablement, recevant le label FSC. Et dans l’ensemble, des alternatives durables existent. Dans ce sens, les maisons de niche osent davantage des stratégies engagées. On notera parmi d’autres l’initiative originale de la maison Aemium, qui dans une approche éco-consciente sur toutes les pièces assemblées, a choisi pour ses packagings des boîtes en bois issu de forêts gérées durablement. Dans le même esprit, la marque Olibanum, en plus de proposer un flacon allégé, a abandonné les capots et propose des boîtes en carton recyclé non transformé, non blanchi, sans cellophane, et dont les colles et les encres sont à l’eau sans solvant. Mentionnons aussi les boîtes en carton FSC d’Essential parfums, dans lesquelles s’enchâsse le flacon apparent, maintenu par un bandeau en carton. On remarquera aussi l’offre d’Une nuit nomade qui propose désormais la vente de ses parfums sans emballage avec une réduction de 10 euros.
« Mushroom packaging »
Côté luxe traditionnel, Philippe Ughetto, vice-président de Doro Packaging, entreprise spécialisée dans le secteur, précise : « pour les fabricants de packaging, il y a un engagement d’avenir commun, celui de la réduction de l’impact environnemental, tant du point de vue de la chaîne de production avec une réduction des émissions carbone que de celui du produit. Pour la réalisation, l’orientation générale est à l’écoconception pour alléger le poids des grammages, abandonner la mousse de calage lui préférant le carton et penser des montages en mono-matière pour un meilleur recyclage. Du côté de l’impression, ce sont les encres naturelles qui sont privilégiées. Enfin, la recherche et le développement se sont tournés vers les matières biosourcées, à base de pulpe et de fibres naturelles par exemple. » Néanmoins, il faut le reconnaître, ces innovations ont encore un prix supérieur à celui des façons de faire antérieures et toutes les marques ne sont pas prêtes à jouer le jeu.
Parmi les matières biosourcées, on a pu remarquer celle inventée par Sulpac, entreprise finlandaise qui a développé un matériau industriellement compostable fait à partir de copeaux de bois et de liants végétaux, et même être surpris par celle composée de mycélium, les filaments du champignon, proposée notamment par la société néerlandaise Grown ou la britannique Magical Mushroom. Organique, isolant, compostable et résistant aux chocs, le « mushroom packaging » présente beaucoup d’atouts et se retrouve chez des marques comme Haeckels, Ffern ou Lush. Si ce type d’innovation a encore du mal à intégrer totalement les standards du luxe, peut-être que le luxe peut-il revoir ses standards ?
Jan Berbee, président de Grown précise : « Nous sommes au début de la vague, ou peut-être plutôt, d’une ondulation. Les entreprises commencent à comprendre les effets dévastateurs des emballages à usage unique ou en plastique. De plus en plus de signaux sont captés par l’industrie du luxe, tous indiquent que l’impact environnemental de leurs conditionnements doit être considérablement réduit. Ces signaux viennent des gouvernements, parfois tout bonnement par le biais de la législation, sans compter les nombreuses ONG qui poussent les industries à amorcer ce changement si nécessaire. Et sans doute le plus important : davantage de consommateurs n’acceptent plus les emballages inutiles ou moins durables. La grande quantité de vidéos de déballage avec des commentaires négatifs sur les réseaux en est une preuve irréfutable. Le site de Plastic pollution coalition, parmi tant d’autres, dénonce la « laide vérité des beaux emballages”. »
Un éveil des consciences
Certes, les mentalités sont en train d’évoluer, mais l’inertie est présente dans le domaine, en grande partie parce que les entreprises ont souvent réalisé de lourds investissements, notamment sur le plan des machines, pour mettre en place des solutions de packaging à l’ancienne, c’est-à-dire non durables. Selon Jan Berbee, il s’agit d’abord et de manière urgente « de créer un éveil des consciences ». Pour des sociétés telles que Grown, l’objectif est de changer d’échelle, pour devenir plus accessible en multipliant des manufactures à travers l’Europe, mais aussi plus abordable et plus innovant. Bien sûr, l’aspect brut et organique du produit, écru et rugueux, est un sujet que l’entreprise travaille encore pour attirer de nouvelles maisons et mieux correspondre aux codes du luxe. Il est par ailleurs amusant d’envisager sur le long terme la cohabitation du champignon et du parfum comme la réconciliation de deux concepts contradictoires : l’un du côté symbolique de la moisissure et l’autre de celui de la conservation, et qui se compensent l’un l’autre à bien des niveaux.
Pour le mouvement général, on peut donc espérer dans un futur très prochain le remplacement de pièces et d’accessoires encore non recyclables et l’évolution de l’horizon d’attente des consommateurs. Fournisseurs et grandes marques adoptent de nouveaux dispositifs et mettent en place des innovations à l’échelle industrielle. À suivre aussi l’impulsion venant de certaines maisons de niche – parce que plus libres, moins dotées et donc nécessairement inventives –, qui opèrent des abandons ou des choix radicaux et qui contribueront, à n’en pas douter, à inspirer tout le secteur.
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Sommaire du dossier
- Une parfumerie durable est-elle possible ?, par Jeanne Doré
- Les matières premières naturelles : des plantes, des essences et des hommes, par Jessica Mignot
- Vers une synthèse plus vertueuse ?, par Anne-Sophie Hojlo
- Formuler responsable : différents outils pour un même idéal, par Sarah Bouasse
- Au cœur des labos : rationaliser sans rationner !, par Aurélie Dematons
- Quand les emballages s’habillent en vert, par Delphine de Swardt
- Tendres stocks : les cycles de vie du parfum, par Clément Paradis
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