Parfums naturels : conclusion et quelques réflexions

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Pour clore ce grand dossier, nous vous proposons quelques pensées et réflexions sur la parfumerie naturelle, histoire de vous dire au revoir après ces deux semaines passées ensemble sur le sujet !

J’estime que la parfumerie naturelle est digne d’intérêt et légitime lorsqu’elle est abordée avec honnêteté, une cohérence et des convictions, mais surtout avec une vision esthétique : que l’objectif pour le créateur soit d’aboutir à une beauté olfactive particulière, à une forme qui propose quelque chose de différent, de sensible.
Ne la considérer et la faire valoir que comme une supposée « solution » à une parfumerie conventionnelle qui représenterait un « danger » ou un « problème » est une attitude à fuir, même si c’est hélas souvent le cas, comme en témoignent les trop nombreux propos relayés sans analyse par les médias grand public, à défaut d’un discours clair et pédagogique.

En espérant que ce dossier aura permis de vous faire une idée plus précise et étayée sur le sujet, sans pour autant prendre partie, l’objectif n’est pas d’être pour ou contre, mais de bien en mesurer tous les paramètres, avoir conscience de ce à quoi correspondent les revendications et les discours des marques, de plus en plus nombreuses, à s’offrir une visibilité sur le dos d’un argument parfois très raccourci et souvent très flou.

Les parfumeurs interrogés ont démontré par leur ouverture d’esprit et leur enthousiasme à partager leurs connaissances qu’un discours plus pédagogique et nuancé est possible. Comme ils l’ont souvent exprimé, travailler en naturel, ce n’est pas s’opposer à la synthèse, cela peut être un choix personnel, une contrainte imposée, un challenge, une recherche esthétique… 
Car le parfum est avant tout une source de plaisir, d’émotions, de sensations et personne ni aucune étude scientifique n’a à ce jour établi que ce plaisir devait être coupable sous prétexte qu’il dépendrait de matières synthétiques obtenues dans un laboratoire, à la place d’huiles essentielles, dont il est par ailleurs parfois difficile de connaître exactement le bilan écologique, humain et sanitaire, même si les fournisseurs d’ingrédients affichent une volonté grandissante de transparence à ce sujet. Les initiatives pour produire des parfums globalement plus vertueux, moins polluants, plus durables sont bien réelles dans l’industrie, et tant mieux quand elles se retrouvent aussi au sein des marques. 

Mais face à quelques revendications morcelées affichées sur un post Instagram, savez-vous combien de pipettes en plastique à usage unique ont été utilisées pour concevoir tel ou tel parfum ? Combien de flacons d’échantillons ont-ils été jetés pour aboutir à l’essai final ? Combien de kilomètres les emballages et les ingrédients ont-ils parcouru pour être assemblés ? Combien de litres d’eau ont-ils été consommés pour la production de toutes les distillations nécessaires à la fabrication ? 
Il est encore peu aisé de considérer et de mesurer précisément et de manière globale l’ensemble des paramètres économiques, écologiques et sociologiques de la fabrication d’un parfum. Le fait qu’il soit composé uniquement de matières premières issues de végétaux ne constitue qu’un élément de quelque chose de beaucoup plus vaste, et c’est sans doute insuffisant pour décréter que tel flacon serait plus « clean » ou « eco friendly » qu’un autre (surtout quand ces termes galvaudés sont proclamés sans aucun argument concret). 


Vous demandez-vous avant d’aller au cinéma ou de surfer sur Netflix si le film que vous allez voir est « clean » ? Quelle quantité de CO2 a-t-il émis pour son tournage ? Combien de couverts jetables consommés pour ses caterings ? De décors en matière non recyclable détruits ? De litres d’essence et de kérosène utilisés pour tous les trajets ? Et des pellicules fabriquées à partir d’hydrocarbures et de produits chimiques toxiques ?  Non, même si cela commence à devenir un sujet, peu d’entre nous questionnent tout cela car un film n’est pas appliqué sur la peau, il s’agit de création artistique, pas d’un produit fonctionnel qui devrait uniquement présenter les plus grandes innocuité et durabilité possibles. Ce n’est en tout cas pas (encore) un argument de vente.

Alors aiguisez votre nez et votre esprit critique, ne vous laissez pas berner par les discours revendicateurs qui ne parlent que de ça, au détriment du reste : la création olfactive, le propos esthétique, l’intention d’un parfumeur ou d’une parfumeuse, guidée par un directeur ou une directrice artistique qui a envie de transmettre une idée, une envie, une émotion et suscitera chez vous un plaisir réel. Et si cette démarche créative s’inscrit dans une fabrication qui va dans le sens de moins de gaspillage, moins de pollution, plus de cycle vertueux, moins de pétrole, c’est encore mieux, car c’est tout simplement la voie que nous devons suivre, peu importe le domaine considéré. Mais ce ne devrait jamais être le seul argument ni l’unique but recherché. Et rappelez-vous aussi que de nombreuses marques (Parfum d’empire, Anatole Lebreton, DSH Perfumes, Naomi Goodsir, Neela Vermeire et beaucoup d’autres…) utilisent depuis longtemps des grandes proportions de naturels sans trop regarder le coût, et sans pour autant s’en vanter.
Vous savez bien ce que l’on dit à propos de ceux qui en parlent le plus…

Des parfumeurs au naturel – Sommaire

Commentaires

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Chère Jeanne,
Tout d’abord, merci pour ce beau dossier, à la fois très clair et technique.
J’aime vous lire, j’aime votre bon sens. Vos réflexions sont sages et objectives.
Continuez à nous faire plaisir ainsi…
Je remercie également toute l’équipe de Nez qui œuvre à vos côtés. Votre site et votre revue sont des mines d’or pour les passionnés d’odeurs et de parfums.

Un dossier très enrichissant et vraiment très agréable à lire, vous faites vraiment un super boulot! Merci à toute l’équipe. JE VOUS ADORE!!!!

Ce dossier était vraiment passionnant, j’ai énormément appris, mais aussi pris beaucoup de plaisir à découvrir les parcours riches et variés des différentes personnes que vous avez interviewées. Cette conclusion est à l’image du dossier : tout en nuances, ce qui fait du bien dans un monde de l’information qui semble dominé par les avis tranchés et les idées arrêtées, qui ne sont pas vraiment propices à la réflexion ni à la découverte. Comme vous le dites bien, les domaines des produits corporels sont particulièrement sous le feu des projecteurs et des critiques en matière de durabilité, de performances écologiques, alors que d’autres médiums sont complètement laissés de côté… Enfin, vous avez bien raison de souligner l’importance de la démarche esthétique. Si la lecture de vos articles m’a convaincue d’une chose, c’est que la parfumerie relève de l’art quand elle est bien faite.
Merci pour votre travail !

ce qui me surprends le plus dans les interviews est que le naturel au sens normalisé présente peu de matières premières comparé à la synthèse d’après les nez. Rien que dans les agrumes asiatiques il y a environ 200 HE disponibles, je me demande s’il n’y a pas un problème de connaissance, enfin j’en suis même sûr – pour ce que je connais – les agrumes japonais sont presque tous inconnus hors du Japon (il n’y a pas beaucoup de producteurs en Europe). Et c’est dommage.
Un second point serait à propos des HE d’agrumes asiatiques que leur potentiel sur la santé est beaucoup mieux connu que les usuelles déchet de pressage d’orange et de citron.

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