Hiram Green : « Si les gens veulent acheter mes parfums, ce devrait être parce qu’ils aiment leur odeur »

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Faire du naturel quand on porte un nom pareil, ça ressemble au destin… Pourtant, la démarche d’Hiram Green est le fruit d’un cheminement très pragmatique. Car si le créateur canadien n’utilise aucun ingrédient de synthèse, c’est avant tout par habitude : autodidacte, il a appris son métier avec les huiles essentielles disponibles dans le commerce. Seul aux commandes de sa marque depuis 2013, il consacre cette palette 100% naturelle à une parfumerie artisanale, entièrement composée et fabriquée à la main dans son laboratoire de Gouda, aux Pays-Bas. Déjà récompensées par un Art & Olfaction Award en 2019 (avec Hyde, dans la catégorie Artisan) ses fragrances, ébouriffantes de créativité et de maîtrise, font mentir beaucoup de clichés associés à la parfumerie naturelle.

Quel parcours vous a mené à la parfumerie naturelle ?

J’ai grandi à Toronto où j’ai fait les Beaux-Arts. Puis je me suis installé à Londres dans l’idée d’y être artiste. Pour gagner ma vie, j’ai travaillé dans une boutique de parfum et j’ai découvert que j’adorais ça. En 2003, j’ai ouvert ma propre boutique de parfums de niche. À l’époque on n’appelait pas ça comme ça – le mot « niche » ne voulait rien dire – mais disons que ma démarche était de trouver des “parfums de parfumeurs”. Des marques dirigées par des créateurs. Il existait beaucoup de petites marques anciennes mais je ne trouvais nulle part cette idée que le parfumeur pouvait incarner une marque à part entière. Les choses ont changé depuis, j’étais juste un peu en avance sur mon temps…   Lorsque j’ai fermé la boutique deux ans plus tard, j’ai tenté de me faire embaucher par des marques de parfum, à la vente ou au marketing, mais personne n’a voulu de moi. Alors je me suis dit que j’allais lancer la mienne. Sauf que je ne savais pas faire du parfum, et que je ne pouvais pas me payer une école. J’ai donc dû apprendre par moi-même.

Comment avez-vous fait cela ?

Je suis allé là où je pouvais me procurer des matières premières : dans un magasin qui vendait des huiles essentielles. C’est comme ça que j’ai commencé à apprendre l’odeur de la rose, de la lavande, etc. Avec le recul, c’est une démarche un peu étrange, mais si vous n’avez personne pour vous apprendre, vous faites comme vous pouvez ! Et puis il y avait encore très peu d’informations disponibles en ligne… Donc je me suis débrouillé.

C’est donc par nécessité que vous avez pris la voie du naturel dès vos débuts…

Je dois aussi dire que, même si j’adorais les parfums, beaucoup d’entre eux me donnaient des migraines. Et j’avais remarqué que je n’avais pas ce problème avec les parfums composés d’ingrédients naturels, même lorsqu’ils étaient très forts. C’est encore le cas aujourd’hui : dans le laboratoire d’où je vous parle, j’ai cassé deux bouteilles de Hyde ce matin. L’odeur est extrêmement puissante mais elle ne me dérange pas. Donc j’essayais de comprendre ce phénomène. Comme je ne suis pas un scientifique, je ne peux que faire des suppositions, mais j’en suis venu à penser que, lorsqu’un parfum contient une ou plusieurs molécules qui n’existent pas dans la nature, mon cerveau ne sait pas comment les traiter, d’où les migraines. Voilà ma théorie (rires) ! Donc ce n’est pas une question de savoir si l’ingrédient est naturel ou synthétique : il existe un tas de molécules obtenues par voie de synthèse que l’on trouve également dans la nature, et celles-ci ne me causent personnellement aucun mal de tête.

Combien de temps a duré cet apprentissage ?

Une quinzaine d’années, le temps d’avoir suffisamment confiance dans ce que je faisais pour lancer ma marque. J’ai acheté des livres de Mandy Aftel, c’était basique mais fantastique pour démarrer. J’avais mes huiles essentielles, je mémorisais leurs odeurs, les combinais entre elles, les comparais aux parfums du marché qui en contenaient… C’était assez ennuyeux, en réalité ! Je me dis que si j’avais pu apprendre au sein d’une société de parfum, j’aurais appris plus vite. Mais en même temps, j’aurais pensé qu’il était impossible de faire du parfum naturel. Car c’est ce que les gens de l’industrie m’ont toujours dit.

Il s’avère qu’ils avaient tort : la parfumerie naturelle est en plein boom !

Certes, les choses ont changé, mais il y a toujours une certaine réticence de l’industrie à promouvoir les parfums naturels. Quand je regarde ce secteur, j’ai l’impression qu’il est très séparé du reste. Enfermé dans une toute petite boîte.

À quoi pensez-vous que cela est dû ? 

Les marques de parfums naturels se présentent souvent comme naturelles avant toute chose. Elles rabaissent les autres marques en disant que les essences naturelles sont meilleures pour l’environnement, que les synthétiques font ceci, qu’ils font cela, et que donc, par conséquent, vous feriez mieux d’acheter leurs parfums. Elles ne cherchent pas vraiment à vendre la dimension artistique de leur parfum, mais le fait qu’il est naturel. Et de l’autre côté, les acteurs du mainstream ou de la niche leur rétorquent que le parfum naturel ne peut pas sentir bon. Je ne veux pas prendre part à ce débat. Si les gens veulent acheter mes parfums parce qu’ils sont naturels, très bien, mais ils devraient surtout les acheter parce qu’ils aiment leur odeur. Et dans tous les cas, on ne devrait jamais dire que les naturels sont meilleurs pour l’environnement. Ce n’est pas aussi simple.

Que voulez-vous dire ?

Il est indiscutable que tous les acteurs de l’industrie doivent s’engager bien plus en faveur de l’environnement. Mais la solution n’est pas le naturel : les huiles essentielles sont issues de processus d’extraction complexes, elles sont très concentrées, et si vous en déversiez par seaux entiers dans un cours d’eau, je ne suis pas sûr que les poissons seraient très contents ! Et puis il y a la question de l’empreinte carbone du naturel : il faut tellement de fleurs pour obtenir quelques gouttes d’huile essentielle ou quelques grammes d’absolue ! Et toutes ces fleurs nécessitent de l’eau, des soins, beaucoup de travail et d’argent… avant d’être expédiées aux quatre coins du monde. Donc l’empreinte carbone d’un parfum naturel est assez élevée. On peut raconter beaucoup de belles histoires autour du fait qu’on utilise que des ingrédients naturels, mais ce n’est qu’un aspect de la chose.

De manière générale, le parfum « naturel » semble véhiculer beaucoup d’approximations, voire de contre-vérités.

Oui, et il y a des gens qui pensent bien faire mais qui, en réalité, font du tort à tout le monde car ils ne sont pas renseignés. Aux Etats-Unis, un magasin de produits naturels m’a expliqué ne pas pouvoir vendre mes parfums sous prétexte qu’ils contiennent du linalol : c’est une molécule potentiellement allergisante – c’est pourquoi je suis juridiquement obligé de la lister sur les packagings de mes produits – mais elle est naturellement présente dans la bergamote, la lavande et un tas d’autre fleurs ! Or ce magasin vendait, entre autres choses, des parfums à la lavande… C’est pour dire qu’une connaissance approximative du sujet est néfaste. Mais beaucoup de marques de parfum naturel émergent et c’est une bonne chose. Car quoi qu’on puisse penser de leurs créations ou de leur stratégie marketing, le fait qu’elles sont nombreuses va pousser le public à s’intéresser au sujet, et les choses finiront par se mettre en place. Mais ça prendra bien 5 ou 10 ans. 

En attendant, que peut-on faire ?

Je crois que nous avons besoin de plus de régulation. Que les gouvernements ou l’Union Européenne devraient statuer, dire « voici ce qu’est le naturel ». Surtout aux Etats-Unis, où la régulation existante est moins stricte qu’en Europe. Ici, que vous soyez naturel ou pas, vos produits doivent se plier aux mêmes tests réglementaires pour prouver leur innocuité. Et si vous dites quelque chose sur un packaging, vous devez pouvoir le prouver. Dans mon cas, je dois avoir la documentation nécessaire pour démontrer que chaque ingrédient que j’utilise est certifié « naturel » par l’Union Européenne. C’est très facile dans le cas des huiles essentielles et des absolues, mais parfois plus compliqué dans le cas des isolats [les isolats sont des molécules ou groupes de molécules obtenus par « fractionnement » d’une huile essentielle : il s’agit d’un processus de distillation visant à séparer cette dernière en différentes parties ou « fractions »]. La plupart de ceux que j’utilise sont obtenus à partir d’ingrédients naturels, selon des procédés que l’UE considère « naturels ». Mais aux Etats-Unis, l’appellation « naturel » englobe beaucoup plus d’isolats et de molécules, par exemple de certaines irones alpha [que l’on peut extraire de l’iris où ils sont naturellement présents, mais aussi obtenir par voie de synthèse organique].

Certains ingrédients se trouvent dans une « zone grise » : c’est le cas notamment des molécules que vous mentionnez, qui peuvent certes être obtenues par chimie de synthèse, mais qui peuvent aussi être distillées à partir de produits naturels. Certaines marques se targuent de ne pas les utiliser tout court. Qu’en pensez-vous ?

Quand des marques expliquent ne pas utiliser de molécules provenant du naturel, c’est leur choix, mais pour moi c’est stupide. La raison pour laquelle le statut « naturel » de ces molécules fait l’objet de tant de débat, c’est qu’elles sont d’abord destinées à l’industrie alimentaire. Mais pour moi, elles sont naturelles. Si on prend l’exemple d’un linalol isolé à partir d’une huile essentielle de lavande, il est obtenu de la même manière qu’on distillerait une fleur de lavande. C’est juste qu’aujourd’hui nos connaissances scientifiques nous permettent de jouer sur la chaleur et la pression, de manière à extraire une seule des molécules contenues dans l’essence. Donc quand les gens disent, « on n’utilise pas ces molécules », j’ai envie de dire, « en quoi sont-elles différentes d’une huile essentielle » ? Ayant dit cela, il faut quand même évoquer la dimension environnementale de ces molécules. Si vous distillez une rose pour en obtenir une seule molécule – alors que la rose en contient plusieurs centaines –  le rendement est extrêmement faible, et le produit final très coûteux. Pourquoi s’obstiner à l’utiliser quand on peut avoir la même molécule, obtenue par voie de synthèse, pour beaucoup moins cher ?  

Vous faites justement partie de ceux qui s’obstinent. Alors oui, pourquoi ?

Il existe des équivalents synthétiques à beaucoup d’ingrédients que j’utilise, mais effectivement je n’utilise que des naturels. J’aimerais avoir une bonne réponse à vous donner, mais c’est difficile, et c’est très personnel. Il y a quelque chose de jouissif à travailler ces ingrédients, tellement précieux, tellement onéreux… J’ai conscience, quand je les manipule, que quelqu’un les a produits, les a distillés avec ses mains. Cela leur confère une certaine « énergie ». Quelque chose d’intangible que je ne peux pas vraiment décrire, ni vérifier que cela existe, mais qui, pour moi, leur donne quelque chose de très singulier. Et j’aime penser que cette singularité est ressentie par ceux qui achètent mes parfums.

Finalement, on dirait que c’est la dimension « artisanale » des matières premières elles-mêmes qui vous séduit… Comme si elle faisait écho à votre propre démarche !

Nous sommes tellement habitués à acheter des produits industriels, que ce soit du parfum ou des meubles IKEA. Pourtant, je pense que les gens voient quand un produit est fait à la main. Et pas dans un sens négatif, parce qu’il aurait des défauts ! Voyez comme un meuble Art Déco, par exemple, peut-être parfaitement exécuté. Je pense que cela peut avoir son équivalent dans le parfum. 

Des parfumeurs au naturel – Sommaire

Commentaires

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Bravo Sarah merci à tous les 2 pour cette interview vraiment très enrichissante! J’adore cette marque, ces parfums sont beaux et très bien fait en ayant tenue et sillage, Moon Bloom m’émeut bien plus que Carnal Flower, Slowdive est totalement addictif, Lustre est l’une des meilleurs parfum de rose que j’ai senti et le petit dernier Vivacious est trop jolie.

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