Les odeurs de la plage

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Il y a le ciel, le soleil et la mer… Pour fêter l’été, Nez vous propose un article initialement publié dans Nez, la revue olfactive #09. Tour d’horizon des senteurs, régressives ou addictives, qui baignent le littoral.

Embruns, sable chaud, crème et huile solaires, matelas gonflable… Sans oublier une petite gourmandise pour le goûter ! Le doux parfum du bord de mer, celui des parenthèses estivales, est un cocktail d’odeurs et d’univers très disparates. Et vous, vous êtes plutôt chouchous ou beignet ? 

Le rivage
Alors que les yeux se perdent vers l’horizon et que le bruit du ressac parachève le dépaysement, les narines captent les effluves résineux des pins, puis l’odeur des dunes, saline et minérale… Un grand bol d’air frais. Le sable, dans lequel les pieds tout juste déchaussés vont plonger avec délice, sent en réalité assez peu. Composé de silice et de résidus organiques (coquilles, squelettes…), c’est un minéral non volatil. Il doit surtout sa facette « plage » aux débris marins apportés par les flots. À nos pieds, les algues et leurs notes vertes qui évoquent la mousse de chêne, le thé matcha, voire l’épinard cuit. À l’état de trace, le sulfure de diméthyle, résidu du métabolisme de ces végétaux maritimes, provoque la sensation de dilatation des narines typique de l’air du large. Place aux embruns ! Les notes dites iodées sont apportées par des molécules servant à la communication des algues entre elles, des phéromones nommées dictyoptérènes, qui parfument aussi les œufs de poisson. Une autre phéromone livre des facettes d’œufs de saumon: le giffordène. Des aldéhydes apparentés à ce dernier – et par ailleurs responsables des notes aquatiques du concombre, de la pastèque ou du melon – sont également présents dans les algues. Quant à l’odeur de marée, évoquant un peu le poisson, elle provient des bromophénols que ces plantes utilisent pour se défendre et qu’on retrouve dans les fruits de mer.  

La natte de plage
Un peu désuète, légère, facile à transporter, on l’appelle aussi « rabane ». Une odeur de paille, des notes à la fois boisées et poussiéreuses de foin coupé… Roulée – souvent un peu de travers – ou déroulée en un clin d’œil, la pièce tissée en fibres de raphia protège le corps, enduit de crème ou ruisselant d’eau, du sable qui pourrait s’y coller. Elle a donc la particularité de conserver les traces olfactives de ceux qui s’y sont frottés ! À commencer par des relents humides, comme une odeur de serviette mal séchée. Un cocktail soufré et fétide produit par les bactéries : diméthyldisulfure, 3-méthyl-1- butanol, diméthyltrisulfure, 2,4-dithiapentane et acide isovalerique.   

Chouchous, beignets et chichis
« Quiiiiii veut des beignets ? » On entend venir de loin ces vendeurs ambulants au plateau chargé de douceurs fourrées à la confiture, à la compote de pomme ou au Nutella. Comme les churros (ou « chichis »), les beignets sont constitués d’une pâte souple bien sucrée, saisie dans un bain d’huile… Les odeurs de friture sont dues aux aldéhydes formés par la dégradation des acides gras de l’huile sous l’effet de la chaleur: hexanal, heptanal, nonènal et undécènal sont les plus importants. Ces sucreries, dont la recette de base est née dans la Rome antique, ont ensuite été popularisées dans nos contrées par la fête de mardi gras. Comment ont-elles conquis les rivages de l’Hexagone ? Peut-être en traversant la Méditerranée. Cette denrée au prix modique est en effet traditionnellement très prisée sur les plages du Maghreb. Elle aurait ainsi gagné celles du sud de la France. Quant à la cacahuète cuite dans un sirop de sucre au délicieux parfum caramélisé de maltol, elle est à l’origine appelée « praline » en France. Mais le nom de « chouchou », qui vient de Belgique, lui est aussi donné couramment. Cette friandise est une héritière de la praline de Montargis (qui, elle, est à base d’amande), inventée au XVIIe siècle par  le cuisinier du duc de Choiseul, comte de Plessis- Praslin. Les colons français l’ont même introduite  en Louisiane.   

Les huiles parfumées
Nées avec la vogue du bronzage, elles ont pris leur envol grâce aux congés payés. Leurs notes florales et solaires sont indissolublement liées aux vacances. Folle année 1927. Les corps se libèrent. Être hâlé devient chic. À l’avant-garde, le couturier Jean Patou dessine des maillots de bain pour les élégantes et imagine une huile bronzante, parfumée par Henri Alméras. La toute première. Cette Huile de Chaldée, vendue dans des flacons en cristal de Baccarat, contient une forte dose de salicylate de benzyle, substance présente dans les fleurs d’ylang- ylang, de frangipanier et de tiaré, aux notes à la fois  florales et balsamiques. La composition olfactive l’associe à des fleurs blanches (jasmin, narcisse, fleur d’oranger), des notes baumées et un fond ambré vanille et fève tonka. Le salicylate de benzyle filtre les UV et prévient ainsi les coups de soleil. La teinte brune du fluide donne, elle, un coup de pouce au bronzage en colorant la peau… En 1935, un an pile avant les premiers congés payés, apparaît Ambre solaire de L’Oréal, un produit nettement moins cher qui hisse ses voiles vers le grand public. On le doit au patron de la marque, Eugène Schueller, qui voulait protéger son épiderme pendant les régates. Son accord rose et jasmin est complété par le fameux salicylate de benzyle. La fragrance originelle, légèrement remaniée au fil du temps, a été modernisée en 2016 pour lui donner un aspect plus frais et plus léger. La dimension olfactive de ces cosmétiques est centrale. Chez Nuxe, l’Huile prodigieuse, destinée à être appliquée sur le corps et les cheveux, a même vu sa senteur de fleur blanche, solaire et orientale, déclinée en parfum! Quant au célèbre monoï, il devient populaire en Europe dans les années 1970, avec l’ouverture au tourisme de l’île de Tahiti, desservie par l’aéroport de Papeete. Promesse d’exotisme ultime, il se compose d’huile de coco dans laquelle on fait macérer des fleurs de tiaré. À la clé : un sillage légèrement sucré… Le monoï de Tahiti est le seul à bénéficier d’une appellation d’origine protégée (AOP), depuis 1992.   

La bouée, le matelas gonflable
Saviez-vous que le plastique ne sentait rien? Ses molécules sont trop lourdes pour parvenir jusqu’à nos narines. Ce que nous percevons, ce sont les traces des monomères utilisés pour sa fabrication. Les résidus de chlorure de vinyle dans le PVC dégagent ainsi une fragrance douce, un peu éthérée. Issu de la polymérisation du chloroprène, le Néoprène diffuse, lui, une odeur piquante et nettement plus puissante. Les combinaisons faites de ce matériau, souvent mal séchées, cultivent une facette humide et soufrée, entre la transpiration, le sel et l’urine… Loin du sillage souvent fruité des brassards et autres bateaux gonflables, rappelant par exemple l’ananas.   

La protection solaire
Dis-moi ce que sent ta crème, je te dirai où tu vis ! Le parfum du bronzage « safe » diffère en effet d’une région du globe à l’autre. Le Brésil est accro à la marque Sundown et à ses accents chypre-fougère avec une touche aldéhydée. Aux États-Unis, on se dore au soleil dans la fraîcheur aqueuse du melon et du concombre, ou bien nimbé de notes gourmandes (piña colada, caramel, noix de coco…). Les fragrances plus effacées – fleuries, vertes, hespéridées – ont les faveurs du marché asiatique, où l’on s’inspire des produits cosmétiques. L’Europe a longtemps cultivé l’héritage d’Ambre solaire avec ses fleurs blanches épicées, notamment chez les principaux acteurs, comme L’Oréal ou Nivea Sun. En pharmacie, les accords se font plus hespéridés ou aqueux, et nombre de produits s’affichent même aujourd’hui « sans parfum ». Quant aux insouciants qui auront omis de se tartiner régulièrement visage et corps, ils n’auront plus qu’à s’enduire de Biafine. La célèbre crème, mise au point en 1971 par un chimiste français du nom de Wenmaekers afin de soulager les brûlures de sa belle-fille, a été commercialisée en officine à partir de 1976. Un parfum vert et désaltérant se mêle à ses notes grasses. Dans la formule, disponible sur Internet – statut de médicament oblige –, on relève entre autres de l’essence d’orange pour le côté Cologne, du galbanum et du petitgrain pour la facette verte, et un accord rose-violette-jasmin pour la douceur florale… Une odeur unique, qui semble avoir à elle seule le pouvoir de réparer les épidermes les plus rouges.   

Merci aux parfumeurs Mathilde Bijaoui, Laurie Carrat et Mathieu Nardin de Mane et Alexandra Carlin de Symrise, pour leurs descriptions olfactives. 

Cet article est initialement paru dans Nez, la revue olfactive #09 – Autour du monde

Visuel principal : William Merritt Chase, Au bord de la mer, 1892, Metropolitan Museum of Art, New York 

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