Giulio Giorgi et Audoin Desforges : « La botanique olfactive est une manière d’associer la rigueur scientifique à une approche sensible »

Et si les plantes avaient plus à nous dire que ce que nos yeux peuvent voir ? C’est le pari de ce livre mêlant botanique, photographie et odeurs, nouvellement édité aux éditions Nez. À l’occasion de la dix-neuvième édition de la Fête de la nature, qui se déroule du du 21 au 25 mai 2025, nous vous proposons un échange avec l’auteur Giulio Giorgi, paysagiste, écologue et ingénieur agronome, et le photographe Audoin Desforges, qui reviennent ensemble sur cette écriture sensible du vivant, où l’odorat devient un outil d’éveil autant qu’une approche écologique. Rencontre.

Comment est née l’idée du livre Botanique olfactive, sentir la nature au fil des saisons ?
Giulio Giorgi :
Il s’agit d’une genèse à long terme. En tant que paysagiste, je travaille au quotidien avec des matières végétales. Très tôt, j’ai ressenti le besoin d’établir un dialogue avec les plantes que je manipulais dans mes projets. J’ai commencé à noter, dans un carnet ou sur mon téléphone, toutes les odeurs que je percevais dans la nature. Parallèlement, je me suis passionné pour l’univers du parfum, et pour toute la culture olfactive qui l’entoure. Des rencontres ont été déterminantes, comme celle d’Olivier R.P. David [rédacteur pour Nez], qui m’a aidé à identifier certaines molécules odorantes des plantes. C’est grâce à lui que j’ai été mis en relation avec l’équipe de Nez. C’est là que le projet a vraiment commencé à prendre forme.

Pourquoi avoir choisi de collaborer avec les éditions Nez, plutôt qu’avec un éditeur spécialisé en botanique ?
G.G. : La collaboration avec Nez était une évidence. Leur expertise olfactive était un atout indéniable, tout comme leur compétence éditoriale. Ils maîtrisent l’art d’écrire, de structurer la pensée et d’innover. J’étais convaincu qu’ensemble, on trouverait le bon langage pour s’adresser à la fois aux jardiniers, mais aussi aux curieux et aux parfumeurs. Et puis, ils ont tout de suite cru au projet, en y apportant une forte dimension artistique, notamment avec l’idée d’un travail photographique réalisé sur le terrain.

Il est question dans le livre de « botanique olfactive ». Comment définiriez-vous cette expression ?
G.G. : Je voulais souligner la dimension sensorielle des plantes. La botanique olfactive, c’est une manière d’associer la rigueur scientifique de la botanique à une approche sensible, presque poétique de la plante. C’est aussi une invitation à sentir le végétal, et à ne plus le regarder uniquement comme une forme abstraite ou colorée, mais plutôt comme un ensemble d’organismes vivants qui dialoguent avec leur environnement – et avec nous – à travers leurs odeurs.

Comment avez-vous élaboré la sélection des espèces présentées dans le livre ?
G.G. :
Au départ, c’était une liste beaucoup plus longue ! Puis, des critères se sont affinés : représenter toutes les formes végétales (arbres, arbustes, herbacées, lianes), répertorier les espèces par saison, et surtout, choisir des plantes que le lecteur peut croiser dans son quotidien, en ville notamment.
Les photos du livre ont été entièrement faites en France par Audoin, mais elles ont une portée universelle : la botanique des jardins est cosmopolite. Beaucoup d’espèces viennent d’Asie, d’Amérique, d’ailleurs… Ce livre peut donc toucher le monde entier. 

Que nous disent ces odeurs végétales ?
G.G. : Il faut bien comprendre que l’odeur n’est pas un détail, c’est une information aussi importante que la couleur d’une fleur ou la forme d’une feuille. Elle raconte l’écologie de la plante, ses interactions avec le sol, l’air, les insectes, les autres végétaux. C’est un langage que l’on commence à peine à décrypter et qui me fascine. 

Peut-on alors considérer les odeurs des plantes comme des indicateurs environnementaux ?
G.G. : Absolument. Les odeurs sont souvent le résultat de stress ou de transformations chimiques internes. Prenez la résine de oud, par exemple, dont le parfum résulte d’une infection par un champignon de l’arbre aquilaria. Sans cette intervention extérieure, pas d’odeur ! De même, la qualité d’un sol ou le mode de culture peut influencer les composés volatils produits par une plante. 

Le livre suit le cycle des saisons. Vous l’avez documenté sur une année complète ?
G.G. : En réalité, le projet s’est étendu sur deux ans. Il a fallu faire beaucoup de repérages, de recherches, et surtout, attendre le bon moment pour photographier la plante en fleurs.

Audoin, comment avez-vous travaillé ensemble avec Giulio sur le terrain ?
Audoin Desforges : Parfois, il m’est arrivé de partir seul sur certaines missions. Giulio me préparait des plans très précis, pour que je puisse reconnaître la plante. Mais dès qu’on pouvait être ensemble, c’était plus simple. Je pouvais observer, tourner autour, prendre le temps.
G.G. : C’est vrai ! J’ai toute une collection de photos d’Audoin en train de contourner les plantes, de chercher la bonne lumière… Son regard pouvait donner des résultats très surprenants. 

C’est-à-dire  ?
G.G. :
Il y a par exemple une photo que je trouve incroyable, et très représentative du rapport que l’on entretient au végétal. Il s’agit du Photinia en fleurs [voir le chapitre « printemps » du livre, page 76]. J’étais en train de renifler les fleurs en entrant directement dans la canopée, et à ce moment-là, Audoin m’a pris en photo, de loin, pour ne faire apparaître que mes jambes, le reste du corps étant enfoui par cette crinoline de fleurs odorantes. 

©Audoin Desforges

Justement, vous qui centrez habituellement votre travail sur les portraits de personnes, diriez-vous que la plante possède « un bon profil » ?
A.D. : Les plantes sont toujours photogéniques – c’est une sacrée différence avec les humains ! [rires] Mais l’approche est totalement différente : pas de contact, pas d’échange verbal possible. Il a fallu que je développe une nouvelle forme d’écoute. J’ai travaillé avec la lumière naturelle, puis joué avec les contrastes et les volumes. 

Quels défis avez-vous rencontrés sur le terrain ?
A.D. : La lumière, le temps, l’accessibilité… Il fallait souvent attendre le bon moment, tourner autour de la plante, recommencer. C’était un travail d’observation, presque d’apprivoisement.

Comment s’est nouée votre collaboration ?
G.G. : Avec l’équipe de Nez, on avait envisagé plusieurs photographes. Le nom d’Audoin est vite ressorti, justement parce qu’il ne venait pas du monde de la botanique. On voulait un regard neuf, une sensibilité différente. Et on a bien fait ! 

Quels sont vos premiers souvenirs olfactifs liés à la nature ?
A.D. : Curieusement, tous mes souvenirs olfactifs viennent surtout de la cuisine. L’orgeat, l’amande… Et puis il y a ce moment précis : quand on prend le train pour se rendre dans le sud de la France, et qu’on sort du TGV : l’air ambiant sent la mer, les plantes méditerranéennes. Ce choc olfactif, je le garde très fortement en mémoire.
G.G. : Pour moi, c’est le Pyracantha (ou buisson ardent). C’était une plante qu’on retrouvait partout à Milan dans les années 1980, et son odeur me fascinait. Une odeur presque métallique – certains diront :  « artichaut cuit au beurre » –, pas forcément agréable, mais très marquante.

Quel est, selon vous, le message principal que ce livre pourra transmettre ?
G.G. : Je crois que c’est avant tout un outil sensible, un moyen d’apprendre à mieux percevoir la complexité du vivant. Beaucoup de lecteurs nous ont dit qu’ils n’imaginaient pas que ces plantes « ordinaires » puissent être à ce point intéressantes. Certains se sont mis à les chercher pour pouvoir les sentir. Au fond, l’ouvrage est une manière de questionner notre vision anthropocentrique du monde, de prendre conscience que, tout autour de nous, se jouent une myriade de choses invisibles, et pour autant essentielles. 

Pour vous procurer le livre Botanique olfactive, sentir la nature au fil des saisons, c’est par ici.

Pour mieux connaître le travail d’Audoin Desforges, visitez le site de La Company.

Crédits photos : © Audoin Desforges

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