Cuir et parfum : peau contre peau

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À plusieurs égards, cuir et parfum ont une histoire similaire, et constamment liée. Dès l’Antiquité, on parfume les gants en cuir, même si le statut de « maître parfumeur et gantier » ne sera formalisé que bien plus tard. Au cœur de grands classiques de la parfumerie, l’accord cuiré revient aujourd’hui en majesté. Tour d’horizon éclairé par les regards de Christine Nagel, parfumeuse maison chez Hermès, et Céline Perdriel, parfumeuse pour la maison de composition Cosmo International Fragrances.

Origines entremêlées

De même que le parfum est longtemps resté peu étudié par l’archéologie à cause de son évaporation et donc de son apparente invisibilité[1]Voir l’article qui lui est consacré dans le dossier de Nez #15 – Au fil du temps., le cuir, peu présent dans les fouilles en raison de sa péremption, est resté dans l’ombre de l’histoire antique des artisanats. Outre de rares fragments retrouvés lors d’investigations archéologiques, c’est la trace de sa transformation qui peut être étudiée, avec cependant un bémol noté par la chercheuse Sylvie Beyries : « Le travail des peaux est une activité qui laisse très peu de vestiges au sol. Les outils sont souvent les seuls éléments attestant de cet artisanat. »[2]Beyries S., « Modélisation du travail du cuir en ethnologie : proposition d’un système ouvert à l’archéologie. » Anthropozoologica 43, 2008.

On admet généralement que son usage se développe avec la consommation de viande à l’époque néandertalienne, dont elle constitue un sous-produit utile à l’habillement. Le processus de transformation, permettant d’obtenir un cuir souple et surtout imputrescible, passe par différentes opérations : écharnage, épilation, séchage, et surtout, tannage. Pour cette dernière, ce sont les tannins végétaux, issus d’écorces ou feuilles d’arbre, qui ont longtemps été utilisées – et qui sont toujours à la base de ce qu’on nomme le « tannage végétal ». Mais le plus courant, et de loin – il constitue environ 80% de la production mondiale -, est le tannage au sulfate de chrome, qui émerge avec des débuts de la chimie organique, dans les années 1880 – celle-là même qui sonne la naissance de la parfumerie moderne.

Mais le travail du cuir ne s’arrête pas là. Au XVIe siècle, dans la péninsule ibérique, on prend l’habitude de le parfumer avec des essences d’herbes et de fleurs, de civette et de musc : c’est la fameuse « peau d’Espagne », qui s’applique notamment aux gants. Déjà présente dans l’Antiquité, on lit souvent qu’elle aurait été introduite à Grasse par Catherine de Médicis, mais « ce lien précoce entre la parfumerie et la cité provençale semble néanmoins anachronique » note Mathilde Cocoual. « La ville de Grasse possède, en effet, depuis le XIIe siècle, deux corporations de tanneurs qui utilisent des plantes à parfum locales – le myrte essentiellement – pour adoucir l’odeur du cuir ; il faut cependant attendre la fin du XVIIe siècle pour que certains Grassois s’initient à la ganterie de luxe. »[3]Mathilde Cocoual, Aux sources des parfums. Industrialisation et approvisionnement de la parfumerie grassoise (milieu XIXe– milieu XXe siècle), 2017

Les privilèges des « gantier-parfumeur », reconnus et défendus par Henri III en 1582, puis par Louis XIV en 1656, aboutiront à une reconnaissance officielle de la corporation homologuée par le Parlement de Provence en 1729. La ville de Grasse a  alors une réputation internationale dans le double savoir du cuir et du parfumage. Mais des crises de l’industrie du cuir mènent en 1759 à la séparation de la corporation des maîtres parfumeurs de celle des gantiers, et les grassois se spécialisent alors dans la parfumerie et la savonnerie, avant de délaisser cette dernière.

Cuirs pluriels

On peut cependant chercher à caractériser le parfum du cuir : « Il dégage des notes de fumée, de tabac, des notes sensuelles, chaudes, animales, des notes sèches de caractère », synthétise Christine Nagel. Mais l’odeur et le nom que l’on attribue au cuir peuvent différer grandement selon l’origine de la peau (vaches, chèvres, moutons et buffles sont aujourd’hui majoritaires, en plus des rares « cuirs exotiques »), la partie utilisée et son traitement : de la peau d’Espagne au cuir de Russie – caractérisé par son traitement aux écorces de bouleau le rendant résistant à la moisissure, pour imperméabiliser les bottes des militaires russes –, en passant par le suède l’autre nom du daim, qui désigne un cuir velouté issu du travail de la face intérieure de la peau. Et la parfumeuse de préciser : « Je ne cesse d’en saisir les nuances, j’ai même le sentiment que c’est infini. La richesse de notre cave à cuir, ce lieu secret et odorant où bat le cœur d’Hermès, autorise toutes les découvertes, tant les collections sont belles, variées, colorées. On peut y écouter respirer le cuir, les cuirs… Et les peaux dans leur diversité de texture, de touché, de respiration peuvent devenir une source de création directe comme ce fut le cas pour Galop ou Violette Volynka. J’aime aussi travailler avec sa tension, sa souplesse ou sa structure. Tous aiguisent ma curiosité et m’intéressent. »
Autre preuve de la diversité olfactive de cette matière, les témoignages de ceux qui la travaillent sont réunis dans la rubrique « Le nez du cuir » de Nez, la revue olfactive 15 – Au fil du temps.

De la matière au parfum : la palette cuirée

Pour en dessiner la complexité olfactive, les matières animales semblent évidentes. L’emploi du musc est désormais interdit pour des raisons d’éthique animale, mais civette, castoreum et ambre gris restent employables aujourd’hui. Cependant, elles sont difficiles à sourcer et peu de marques les autorisent dans leur cahier des charges, comme le note Céline Perdriel : « LVMH et Yves Rocher ont initié la demande des parfums “vegan”. Et il y a également eu une recommandation de l’IFRA qui a compliqué l’emploi du styrax, une résine qui permettait de reproduire cette note cuirée. Lorsqu’on m’a confié la reformulation d’un grand classique masculin des années 1980, j’ai dû faire avec ces contraintes. J’ai d’abord mis des mois à comprendre sa formule à vingt-cinq niveaux, avant de pouvoir chercher des solutions ». Mais la parfumeuse a plus d’un tour dans son sac : elle utilise par exemple la pierre d’Afrique – urine pétrifiée d’un petit mammifère d’origine somalienne – et pioche dans les plantes, dont certaines facettes rendent olfactivement poreuse la distinction entre animal et végétal : ciste-labdanum, oud et tabac, notamment. « Le labdanum, obtenu par traitement des branches entières dont on extrait un résinoïde, est plus sec ; l’absolue de ciste est plus ambrée, liquoreuse ; l’essence est très verticale, plus épicée, animale. Et puis, il y a toutes les variations : les cistes dits « craqués » chauffés – donnent un produit plus minéral, fumé, qui se rapproche de l’ambre gris ; l’hydrocarborésine est plus aromatique. Quant à l’oud, on peut distinguer sa version classique de la “boya”, sa partie blanche, qui est très animale, très fromage. »
Les chimistes ont amené de l’eau au moulin des parfumeurs avec la découverte de l’isobutyle quinoléine (IBQ) en 1908. Nées pour faciliter l’emploi des molécules synthétiques à leur naissance, des bases – mélanges de molécules de synthèse et naturelles – sont créées par les sociétés de composition, comme la mousse de Saxe de Laire (aujourd’hui rachetée par Symrise) : « Les bases cuir, tels que le Cuir de Russie, étaient aussi très importantes chez Synarome, où j’ai réalisé mon alternance lors de mes études à l’Isipca. On avait par exemple un cuir obtenu par fraction d’un ciste montée en température, selon un processus très long tenu secret », raconte Céline Perdriel. « C’est en travaillant avec Rosendo Mateu chez Puig sur un projet que celui-ci m’a donné une petite leçon de cuirs, en en distinguant quatre sortes : cuir fumé (de Russie), cuir phénolique qui sent le marqueur (styrax), cuir IBQ (asperge, vétiver), et le cuir violette marqué par l’ionone béta. »  
Aujourd’hui, le champ s’est encore élargi : « de nombreuses notes de synthèse ont des résonances, des facettes cuirées que je trouve intéressantes comme le Suedéral, le Cashmeran, et les quinoléines », précise Christine Nagel. 

Grands classiques de la parfumerie

Par son histoire, le cuir a très tôt constitué une source d’inspiration pour les parfumeurs. On évoquera ainsi Cuir de Russie créé par Aimé Guerlain en 1872 – aujourd’hui disparu –, Peau d’Espagne sorti la même année chez Oriza L. Legrand – disparu puis remis sur le marché en 2022 dans une version retravaillée (voir plus bas) ; et une création du même nom chez Santa Maria Novella en 1901, qui existe toujours.

Mais c’est Caron qui, en 1919, change la donne : « Le Tabac blond inaugure véritablement la famille des cuirés en se démarquant des traditionnels accords peau d’Espagne et cuir de Russie par des notes orientales et boisées appuyées, aux côtés de notes florales épicées (œillet et ylang-ylang) » note ainsi Yohan Cervi dans Une histoire de parfums

Quelques années plus tard, en 1924, c’est au tour de Gabrielle Chanel, qui s’est liée d’amitié avec plusieurs intellectuels russes qui ont fui la révolution de 1917, de commercialiser son Cuir de Russie : entre animalité et fumée du goudron de bouleau y percent les étoiles d’un jasmin aldéhydé. Un chef d’œuvre bientôt centenaire que l’on doit à Ernest Beaux. Au même moment sort Knize Ten, un cuir poudré devenu grand classique chez les perfumistas, que l’on attribue à François Coty et Vincent Roubert.
On regrette la disparition du magnifique Scandal de Lanvin, lancé en 1933, à la fois animal et élégant, que l’on vous invite à aller découvrir à l’Osmothèque – et à travers la critique de Yohan pour Auparfum.
Notons au passage qu’alors, la note cuirée était destinée au public féminin, contrairement à la catégorie masculine dans laquelle la parfumerie grand public le range le plus souvent aujourd’hui. C’est d’ailleurs toute une sous-famille qui voit le jour dans les années 1940 : celle des chypres cuirés. La première claque – car c’est bien le terme qu’il faut employer face à cette surdose d’IBQ – est donnée par Germaine Cellier avec Bandit de Piguet. Un cuir vert, où mousse de chêne et patchouli donnent de la profondeur au bouquet de fleurs séchées. La parfumeuse signe également un chypre cuiré, élégamment animal, avec Jolie Madame de Balmain en 1953.
Plus discret, mais tout aussi culte, Cabochard de Grès nous offre en 1959 l’interprétation de Bernard Chant du cuir chypré, où l’IBQ s’arrondit de notes plus veloutées, tendres et poudrées. 

Ce n’est finalement qu’assez tard que le cuir s’écrit au masculin. On ne s’étonnera pas que l’accord cuiré figure dans le premier parfum lancé par le célèbre cellier en 1951 : contrairement à ce que laisse présager son nom, l’Eau d’Hermès dévoile, derrière son ouverture aromatique, un cumin qu’Edmond Roudnitska avait déjà employé dans Femme, et qui fait ici le lien avec le fond doucement animal et boisé. On doit à Jean-Louis Sieuzac d’avoir exploré un cuir plus sombre avec Bel Ami en 1986, dans un ensemble chypré, résineux et épicé.

Ode au vêtement du cavalier, Habit rouge de Guerlain, lancé en 1965, est un cuir à la fois hespéridé et baumé – en digne « petit frère » de Shalimar – qui n’a pas perdu de sa superbe et reste une icône du genre. 

Et puis il y a Polo, de Ralph Lauren : chef-d’œuvre parfois mésestimé, il constitue un jeu habile entre le végétal des pelouses et l’animalité de la sueur des joueurs perlant sur le cuir des selles, et qui « annonce les nombreux travaux autour des bois plus sombres et animalisés qui sont aujourd’hui en vogue dans la niche », souligne Alexis Toublanc dans Les Cent onze parfums qu’il faut sentir avant de mourir

Cuirs exclusifs

C’est en effet dans la parfumerie dite exclusive – de niche, mais aussi parmi les collections exclusives des grandes marques – que le cuir réapparaît en majesté, même s’il constitue une facette de nombreux parfums grand public. Épices orientales dans Cuir mauresque (Lutens, 1996), fauve en cage dans Dzing ! (L’Artisan parfumeur, 1999) et Rien (État libre d’Orange, 2006), adoucie dans une série de daims qui part de Daim blond (Lutens, 2004) au sublime Cuir d’ange (Hermès, 2014), ou au contraire explorant son côté fumé avec Patchouli 24 (Le Labo, 2006), La Treizième Heure (Cartier, 2009) et Bois d’ascèse (Naomi Goodsir, 2012).

Cette association récente du cuir à la niche s’explique probablement par le caractère bien trempé de la note, dans nos sociétés à l’ambiance olfactive relativement aseptisée : « En parfumerie, la famille des cuirs est un peu à part. Elle est très appréciée des connaisseurs et des amoureux du parfum “de caractère”. En effet, ces notes sont assez singulières, difficiles à apprivoiser et plaisent généralement aux personnalités fortes et affirmées. Elles sont indéniablement séduisantes et restent mystérieuses. Est-ce parce qu’elles convoquent notre imaginaire charnel ? En réalité, elles sont bien plus ambigües que cela. Ce sont des accords très sensuels qui nous reconnectent à nos instincts primaires, mais aussi des créations sophistiquées et élégantes », remarque Christine Nagel.
Et Céline Perdriel de poursuivre : « Avec la montée de l’influence du Moyen-Orient en parfumerie, les notes oud, qui présentent des facettes cuirées, sont désormais indispensables. Les maisons de composition proposent ainsi de plus en plus de spécialités qui y sont liées, et qu’il faut apprendre à maîtriser. »

Cuirs fraîchement composés

Caron, Tabac blanc

Récemment, certains ont ravivé la flamme du passé. C’est le cas de Jean Jacques chez Caron, avec sa déclinaison du grand classique en une version Tabac blanc, qui constitue ceci dit un tout autre parfum, tirant sur le chocolat blanc musqué.

Oriza L. Legrand, Peau d’Espagne 1872

La maison historique Oriza L. Legrand redonne quant à elle vie à « un cuir aux notes poudrées et boisées » lancé en 1872, dans une version « actualisée » mais qui conserve en tout cas un fort caractère : entre savonnette à l’ancienne et animalité affirmée, le parfum semble en jouer sur la dualité entre le propre et le sale.

Memo, Iberian Leather

Pour certains, le cuir n’est pas une tendance mais une collection. Memo a ainsi lancé le onzième opus de sa gamme des « cuirs nomades », pensés comme une invitation au voyage. Iberian Leather, qualifié de « dense et fumé » par la marque, met en avant le cèdre, dans un bouquet de fleurs boisé, épicé et vanillé.

Atelier Materi, Cuir Nilam

S’il est question de fumée dans Cuir Nilam, elle s’y fait légère, appelant un cuir charnel qui sait rester élégant. Céline Perdriel nous en rapporte le développement : « J’ai commencé à travailler avec Véronique Le Bihan il y a trois ans. J’ai trouvé qu’il y avait comme un fil conducteur dans toutes les créations d’Atelier Materi : une note de peau, un peu Suederal. Lorsqu’elle a souhaité un cuir patchouli pour compléter la gamme, elle a évoqué l’image d’un perfecto neuf. Je n’avais pas envie de le traiter de manière sale. Et puis, pour moi, le cuir c’est celui des chaussons de ballerines : j’ai fait beaucoup de danse, de pointes, c’est pire qu’une madeleine de Proust. J’ai utilisé différentes qualités de patchouli, dont une fractionnée où l’on enlève la facette moisie, qui est plus fruitée, et évoque le chocolat. Il y a des notes chaudes, un peu fourrure, avec le ciste, le Suederal qui apporte une côté cuiré très important, avec l’IBQ. Et pour l’assouplir, des facettes plus végétales : feuille de violette, cardamome, note rosée. L’essai sur touche ne lui rend pas justice : le parfum prend toute sa dimension sur peau, et Véronique l’a tout de suite testé ainsi. »

Jardins d’écrivains, Peau d’âne

L’animalité est poussée un cran plus loin par Anaïs Biguine qui a imaginé un « parfum couleur du temps » pour sa marque Jardins d’écrivains, en s’imprègnant du conte de Charles Perrault et de son incarnation cinématographique. Le résultat ? Un suède qui, sous ses apparences innocentes, révèle vite des facettes animales et grasses, poudrées, entre réminiscences gustatives et fauve tapis dans l’ombre. 
Ce parfum fait partie de la sélection de la Box Auparfum – #36 – novembre/décembre 2022

Marc-Antoine Barrois, Encelade

L’amour de l’ambivalence est également perceptible dans Encelade , le « parfum d’ombre et de lumière qui se joue avec délice de ses paradoxes » de Marc-Antoine Barrois. Notes vertes et fraîches d’une « nature luxuriante » sont entremêlées à celles d’une peau animale, fumée, faisant échos aux grands cuirs verts historiques.
Ce parfum fait partie de la sélection de la Box Auparfum – #33 – mai/juin 2022

D’Orsay, Dandy or not

Chez d’Orsay, la dualité confronte « désinvolture acidulée et élégance calme ». Sidonie Lancesseur mêle à l’accord cuir des notes de thé noir à la fleur d’oranger, pour évoquer « l’amour désinvolte ».

DS & Durga, Leatherize

On retrouve des notes de thé – fumé cette fois-ci – dans Leatherize de DS & Durga : un lapsang souchong aux facettes phénoliques et florales, qualifié de « cuir transparent moderne qui permet d’amplifier instantanément un autre parfum »

L’Atelier parfum, Leather Black K(night)

De fleurs il est question aussi dans Leather Black K(night) de L’Atelier parfum, et notamment de jasmin, mais aussi d’iris, qui lui confère un départ presque cosmétique, qui s’animalise et s’assombrit pour rendre hommage aux chypres cuirés, signé Serge de Oliveira.
Ce parfum fait partie de la sélection de la Box Auparfum – #36 – novembre/décembre 2022

Régime des fleurs, Leather petals

« What if flowers were made of leather ? » est la question qui a guidé Alia Raza, fondatrice de la marque Régime des fleurs, pour son ode à New York qu’est Leather petals. La peau tannée se pare d’un bouquet d’osmanthus, davana, iris et patchouli sur un fond baumé et boisé.

Hermès, Violette Volynka

Lorsque l’on travaille chez Hermès, composer un parfum cuiré est à la fois une évidence et un défi. Ayant accès à la cave des cuirs de la maison parisienne, Christine Nagel peut sentir différentes qualités, notamment celle qui l’a inspirée pour le récent Violette Volynka : « Quand j’ai rencontré le cuir Volynka, l’émotion a été instantanée. Sans savoir ni quand, ni quoi, j’ai su immédiatement que j’en ferais le point de départ d’une création. J’ai eu la même fulgurance que lorsque j’ai découvert la douceur et la féminité du Doblis pour Galop. La beauté de la matière que je touchais, la force de sa texture à l’aspect tortueux, presque comme un tronc d’olivier, portaient le savoir-faire et la maîtrise de l’artisan. Son parfum est à l’image de ce cuir à losange irrégulier, grainé, épais. Il est d’une force et d’une puissance difficilement domptable. J’ai souhaité réinventer, dans un nouvel accord, la note tourbée, boisée et fumée de ce cuir sophistiqué au parfum de bois brûlé. J’ai maîtrisé le cuir par un travail sur la maturation et de la macération pointue, en le rendant doux et souple. J’ai réécrit la violette pour être forte, pour vivre en osmose avec ce cuir. Une violette à la fois subtile et poudrée qui adoucirait ce cuir aux accents boisés et forcerait sa métamorphose. »

Goldfield & Banks, Purple Suede

Même couleur, mais fleur différente : chez Goldfield & Banks, c’est la lavande qui est au cœur de Purple Suede, et plus précisément « les champs de lavande brûlée au soleil » qui poussent en Tasmanie, intensifiés par un « cuir de bois fumés ».

Astier de Villatte, Tucson

On reste dans l’interprétation brûlante de l’accord avec Tucson d’Astier de Villate, peignant les contours d’un « désert torride d’une beauté sauvage » à coups d’immortelle, de thym, et d’épices. Alexandra Monet a travaillé l’aspect cuiré grâce au ciste et au bouleau, pour un résultat à la fois sec et liquoreux.

Eris, Scorpio Rising

Avec son « cocktail d’épices en overdose » sur des bois fumés et un ambre en fusion, Scorpio Rising constitue quant à lui un cuir impétueux signé Antoine Lie, qui s’est inspiré du signe astrologique qui donne son nom à la composition pour un parfum « dangereux et addictif ».

Thierry Blondeau, Cuir frappé

Vous reprendrez bien un petit verre de cuir ? Celui de Thierry Blondeau se veut Frappé : avec ses notes de fraise des bois, citron et rhubarbe, il se fait régressif, comme un chewing-gum épicé. L’osmanthus donne le la à l’accord cuir plutôt discret.

Scents of Wood, Leather in Armagnac

D’alcool il est question aussi chez Scents of wood (L’Âme du bois), mais d’un tout autre genre : avec Leather in Armagnac, le parfumeur Yves Cassar rend hommage à cette eau-de-vie française, qui offre « un magnifique élixir d’épices, de bois et de cuir ».

Olibanum, Cuir végétal

Restons dans les bois avec Olibanum, qui propose des déclinaisons de toutes sortes autour de cette résine, et notamment un Cuir végétal : qualifié d’« androgyne et monochrome », il marie oud noir, cumin et cèdre.

Obvious, Un Oud 

C’est l’oud traditionnel qui est mis en avant par Obvious, celui de l’Aquilaria Crassna, à qui la marque fait dire « lorsque l’on m’attaque je me défends en sécrétant une résine qui me rend plus rare et précieux que l’or ». L’ouverture est fraîche, et le fond, boisé, cuiré et baumé, reste doux.

Une Nuit nomade, Sugar Leather

Dans sa collection « Une nuit à Oman », la maison propose un voyage dans le désert à dos de dromadaire, dont la selle « chauffée par un soleil arrogant, dégage une odeur de cuir suave et délicate ». Comme un morceau de cuir caramélisé par le soleil, cette gourmandise épicée et liquoreuse, signée Anne-Sophie Behaghel, réunit cannelle, prune, tonka, labdanum et patchouli dans une composition riche et appétissante.

Et à l’avenir ?

On peut parier que le cuir en parfumerie a de beaux jours devant lui – malgré son passé déjà riche : « Le travail sur le cuir est infini, formidablement stimulant. Dans tous mes parfums, j’aime jouer de la dualité, forcer la nature, amadouer ou transformer la matière première par des associations inattendues. Je choisis volontiers les contre-courants et aime faire dire à la matière l’inverse de l’évidence. C’est tout à fait vrai pour le cuir », s’enthousiasme Christine Nagel.
Quant à elle, Céline Perdriel imagine déjà « une fleur blanche au masculin avec une note cuirée. Ou alors, des notes aromatiques cuirées, en travaillant par exemple l’armoise ou le chèvrefeuille, qui ont connu un certain intérêt dans les années 1980, mais que l’on peut imaginer avec plus de modernité. »

Notes

Notes
1 Voir l’article qui lui est consacré dans le dossier de Nez #15 – Au fil du temps.
2 Beyries S., « Modélisation du travail du cuir en ethnologie : proposition d’un système ouvert à l’archéologie. » Anthropozoologica 43, 2008.
3 Mathilde Cocoual, Aux sources des parfums. Industrialisation et approvisionnement de la parfumerie grassoise (milieu XIXe– milieu XXe siècle), 2017

Cette publication est également disponible en : English

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