Portrait David Frossard

David Frossard crée la marque Obvious : « Il est temps que le parfum revienne à quelque chose de plus humble et de plus essentiel »

Distributeur de parfums avec Différentes Latitudes, cofondateur des marques Liquides imaginaires et Parfums Frapin & Cie, puis de la boutique Liquides, bar à parfum à Paris, David Frossard franchit le pas et lance sa propre marque. Obvious propose de réconcilier luxe et nature, à travers une démarche responsable et des parfums simples et directs. Alors qu’une campagne de crowdfunding s’ouvre sur Ulule, il nous présente le projet.

Comment arrive-t-on dans le monde du parfum après des études de philosophie ? 

Il y a plus de vingt cinq ans, j’ai commencé dans une société familiale gérée par mon oncle, qui distribuait des marques comme Boucheron, Dolce & Gabbana ou Nina Ricci en Afrique. Puis, en 2001, j’ai été recruté comme directeur export par Marie Dumont, alors directrice générale de l’Artisan parfumeur, qui était encore une société indépendante. À l’époque, il n’y avait pas de réseau de distribution pour la niche, il fallait tout inventer, et j’ai beaucoup appris. C’était une période de créativité folle. En 2005, fort de mon expérience, j’ai créé Différentes latitudes, d’abord pour distribuer des marques de parfum indépendantes, et aujourd’hui pour les accompagner de A à Z. Il y a quinze ans, la niche ne représentait que quelques marques, mais j’ai parié sur le fait que les clients allaient ouvrir les yeux sur le manque de créativité des marques de luxe. Cela a pris du temps, mais le marché a explosé en 2012-13. Chemin faisant, j’ai fait des rencontres. D’abord avec la famille Cointreau, qui possède les cognacs Frapin, avec qui j’ai fait mes premiers pas dans la création olfactive. Puis Philippe di Méo, avec qui je me suis associé pour créer Liquides imaginaires, inspiré par une exposition sur le sacré dans le parfum. Jusqu’ici, je m’adossais chaque fois à une histoire, je ne m’exprimais pas en mon nom. 

Pourquoi créer Obvious aujourd’hui ? 

Il me fallait atteindre une certaine maturité, et avoir une histoire à raconter. L’année dernière, j’ai fait un voyage en Inde, et j’ai découvert un monde fascinant, plein d’odeurs, mais aussi de pollution. J’ai traversé le pays en tuk tuk pour une course de charité. Nous sommes partis du nord du pays, une région extrêmement chaude, et pendant tout le trajet, nous rêvions d’arriver au bord de la mer. Quand nous avons finalement atteint ce but au nord de Bombay, nous avons découvert une plage jonchée de détritus comme dans « La Planète des singes ». Revenu à Paris, j’ai réalisé qu’il était évident que le monde du luxe devait s’adapter au monde tel qu’il est aujourd’hui – certains segments, comme la mode le font déjà, mais ce n’est pas encore le cas du parfum, où la tendance est plutôt à des lancements de plus en plus ostentatoires, dans le packaging comme dans les jus, trop chers pour une clientèle européenne dont le pouvoir d’achat n’augmente pas, et basés sur un storytelling de plus en plus compliqué. Obvious propose de revenir à quelque chose de plus humble, plus essentiel : des parfums qui ne se prennent pas pour des oeuvres d’art, mais qui sont beaux et responsables. 

Obvious est présentée comme une marque « green & clean », qu’entendez-vous par là ?

Nos parfums ne sont pas 100% naturels, ce n’est pas le propos. Ils sont composés avec de belles matières premières naturelles, mais pas seulement. Nous ne nous interdisons pas la synthèse, mais en privilégiant celle qui relève de la chimie verte : pour Un musc, nous avons utilisé des muscs macrocycliques « propres ». L’alcool employé est biologique et fabriqué à partir de blé français. Les flacons sont faits à partir de 30% de verre recyclé, et sont rechargeables et recyclables à l’infini. Pour les capots, nous avons utilisé du liège issu du recyclage de bouchons de vin, sans insert ni plastique, et pour les étuis, de la cellulose et de la fibre de coton biologique biodégradable non cellophanées. Nous avons enlevé tout ce qui nous paraissait néfaste et que nous pouvions enlever. Le seul élément du packaging qui n’est pas recyclable, c’est la pompe, car nous n’avons pas encore trouvé de fournisseur pour la produire, mais nous améliorerons ce point quand ce sera possible. 

La gamme propose Une rose, Une vanille, Un musc : comment ces compositions se distinguent-elles de celles qui existent déjà sur ces thèmes ? 

Le but d’Obvious n’est pas l’originalité à tout crin, mais plutôt de revenir à un certain classicisme, à une belle parfumerie de matières, intimiste, qui permet de se faire d’abord plaisir à soi : c’est une parfumerie qui m’intéresse bien plus que la course actuelle au sillage et à l’ostentation. Nos sept parfums, composés par le laboratoire Flair, sont des créations qu’on peut décrire comme directes, casual et impressionnistes : elles s’inspirent de la nature mais de façon contemporaine. 

Une rose met en scène une fleur très fraîche et fruitée, travaillée avec du pamplemousse, de la bergamote, et une note anisée de carvi et d’aneth : on n’est ni dans la rose élisabéthaine vieillotte, ni dans la rose oud que l’on sent partout. 

Une vanille est verte, florale, chic, surtout pas collante. La vanille noire de Madagascar y est associée à la fève tonka qui lui apporte des facettes chocolatées, tout en conservant un profil orchidée. 

Un patchouli se caractérise par son aspect baumé, chaud, avec le côté terreux qui est inhérent à la matière, mais qui reste plutôt discret car je ne l’apprécie pas particulièrement. 

Un bois se révèle frais et tendre grâce à sa note d’ambroxan. 

Un musc est le plus tendre, intime, presque ensoleillé.

Une fleur d’oranger joue sur la dimension cocooning, douce de l’ingrédient, mais avec une légère tension animale. 

Quant à Un poivre, c’est mon favori, avec ses notes de violette et de vétiver qui le rendent pétillant, frais, élégant. 

Quand la marque sera-t-elle lancée ? 

Le lancement est prévu le 15 novembre au Bon Marché et chez Liquides à Paris. Il est difficile de créer une marque ex nihilo, et nous avons choisi d’ouvrir une campagne de crowdfunding sur Ulule le 5 octobre pendant un mois. Obvious est un projet qui a demandé beaucoup d’énergie et d’investissement pendant une période compliquée, mais nous espérons avoir une fenêtre de tir pour réussir!

Pour participer à la campagne

Crédit photo du portrait de David Frossard : Roberto Greco

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