Dominique Roques : « Travailler sur un projet multifacettes autour de l’arbre à encens est une opportunité merveilleuse »

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Sourceur de produits naturels depuis plus de trente ans, Dominique Roques est sollicité par Amouage pour un accompagnement sur trois ans. Sa mission : imaginer la renaissance de la filière de l’encens dans le parc naturel du Wadi Dawkah, au sultanat d’Oman, un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pourquoi lui ? Parce que renouer avec une tradition vieille de plusieurs millénaires ne pouvait se faire qu’avec un expert humble, curieux et enthousiaste. Rencontre.

Début 2023, vous créez votre propre société de conseil, Balsam Consulting, après avoir travaillé chez Biolandes puis Firmenich [aujourd’hui DSM-Firmenich]. À peine indépendant, vous êtes contacté par Renaud Salmon, directeur de la création d’Amouage, pour accompagner la maison dans la mise en œuvre du projet Wadi Dawkah. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette aventure ?

Ma passion, ce sont les arbres à parfum. J’ai écrit un premier livre très axé sur le sujet (Cueilleur d’essences, Grasset, 2021) et un second qui l’est encore plus (Le Parfum des forêts, Grasset, 2023). Travailler sur un projet multifacettes autour de l’arbre à encens est une opportunité merveilleuse, d’autant que c’est un arbre assez mystérieux à comprendre. Pourquoi est-il différent sur les deux rives du golfe d’Aden ? L’encens ne pousse-t-il qu’en altitude ou bien peut-on le trouver au niveau de la mer ? Quelles sont les bonnes méthodes de gemmage – une technique qui consiste à inciser l’arbre pour sécréter de la résine ? Peut-on créer des plantations d’encens ? La qualité de la résine sera-t-elle la même ? Toutes ces questions me passionnent, et apporter ma modeste contribution au projet m’a immédiatement séduit.

Comprendre les spécificités de cet arbre ne se fait probablement pas seul : avec qui collaborez-vous ?

Il y a une dimension très pratique au projet Wadi Dawkah : on a trois ans pour le mettre en œuvre. À Salalah, ville la plus proche du site classé par l’UNESCO dans le sud d’Oman, Amouage a embauché Matthew Wright pour être la cheville ouvrière du projet. C’est ensemble que l’on se pose toutes ces questions. On essaie d’être très réalistes en se demandant ce que l’on sait vraiment et ce que l’on ne sait pas. C’est un domaine pour lequel il n’existe pas une foultitude d’experts internationaux. Il faut donc agglomérer des connaissances académiques à celles qui sont issues de la tradition pour avancer, lentement mais sûrement.

Quel est l’âge moyen d’un arbre à encens ? 

On ne sait pas ! Quand on connaît la date de sa plantation, on peut le regarder évoluer. Mais à Wadi Dawkah, il y a des arbres qui semblent être dans le paysage depuis toujours. Ils sont vieux, ils sont gros, ils ne sont jamais très hauts car ils ne dépassent pas 7 mètres. J’ai parlé avec beaucoup de gens, mais – aussi incroyable que cela puisse paraître – personne ne semble le savoir. Et c’est génial ! Disons entre 50 et 150 ans pour les plus gros arbres de Wadi Dawkah…

Sur le plan de la productivité, la quantité de résine sécrétée par l’arbre varie-t-elle avec le temps ?

Le jeu du gemmage, c’est de répartir les zones d’incision de l’arbre, afin qu’elles soient suffisamment écartées pour ne pas le surexploiter. Plus l’arbre grandit et grossit, plus il dégage de la surface sur l’écorce qui permet de faire de nouvelles entailles, et plus il donne ainsi davantage de résine qu’un arbre jeune. Le phénomène est d’autant plus magnifique que l’arbre à encens n’arrêtera jamais de produire de la résine tout au long de sa vie. C’est le cas d’autres arbres à parfum dans le monde, comme le baumier du Pérou ou le styrax. Dès lors que les communautés qui ont appris à vivre à ses côtés ont déterminé les bonnes méthodes d’exploitation, l’arbre donne l’impression d’intégrer le processus du gemmage dans son cycle de vie.

Dominique Roques
© Amouage

Pourtant cet arbre est sous pression à Oman, pourquoi ?

Il y a deux raisons principales. La première, la plus spectaculaire à mon avis, ce sont les chameaux. Ils mangent tout ce qui est dans le désert et, dès lors qu’un arbre à encens commence à produire des pousses tendres, l’animal s’en délecte. Et ça, c’est terrible. Terrible. Terrible. Il n’y aura pas de prospérité des arbres à encens à Oman en dehors des zones desquelles on arrivera à exclure les chameaux. Ce sont des sujets intéressants et difficiles à la fois, car ils sont le reflet de l’évolution sociétale du pays. Traditionnellement, le pâturage des chameaux était lié à des répartitions complexes de territoires et d’arbres élaborées entre tribus et clans omanais. Une fois son territoire d’arbres établi, chacun veillait à ce que ses chameaux ne divaguent pas. Cela a beaucoup évolué au cours des dernières décennies avec le développement du pays.

Le second problème est lié à la pression de l’urbanisation sur des zones sauvages. Mais l’existence du projet Wadi Dawkah a enclenché la mise en place d’un programme de préservation et de transplantation des arbres venant ainsi en soutien à la création d’une filière.

Justement, les arbres à encens peuvent-ils être transplantés de manière durable ? 

De façon générale, plus les arbres sont adultes, plus ils sont développés, plus la possibilité de les transplanter ailleurs est compliquée. Mais la réponse des arbres à ce type de déménagement est très variable selon les essences. Il y a une dizaine d’années, on s’est aperçu que pour l’olivier, par exemple, cela ne posait pas de problème. Je reste prudent, parce qu’il faut avoir beaucoup de recul, mais il me semble que l’arbre à encens a quelque chose en commun avec l’olivier. On peut appeler cela de la résilience ou de l’adaptabilité.

Ainsi, on mène un travail en collaboration avec des sociétés qui, avant d’extraire la matière avec laquelle ils font de la chaux, sont encouragées à sauver les arbres et à les transplanter. Or à Wadi Dawkah, on a besoin de compléter un peu les peuplements existants par des arbres de l’extérieur, car qui dit plus d’arbres dit plus grande capacité de gemmage. Cette question représente donc un vrai enjeu écologique de sauvegarde, mais aussi une possibilité d’aller un peu plus vite, un peu plus loin, à un moment où l’on cherche à créer une véritable filière de production. 

Comment l’arbre à encens vit-il ?

C’est un vrai partenaire des zones désertiques et montagneuses d’Oman, et c’est assez fantastique. Il a de l’eau en période de mousson, puis plus d’eau pendant des mois, mais il survit et s’adapte à cela. Pourtant, les besoins en eau des arbres à encens et les phénomènes d’irrigation sont des choses que l’on connaît encore assez mal. Par exemple, il y a plus de dix ans, à Wadi Dawkah, de nombreuses jeunes pousses ont été plantées et, visiblement, elles ont été trop irriguées, les arbres n’ont pas aimé. Ils ont mal poussé et on est en train de corriger le tir. Maintenant, il faut tout reprendre patiemment et, honnêtement, on tâtonne.

En quoi est-ce que ce projet de Wadi Dawkah est différent de ce que vous faisiez préalablement ?

Je m’intéressais à des filières d’approvisionnement avec des clients qui attendaient un produit spécifique et des quantités. Ici, on est sur un projet complètement hybride : on veut imaginer une véritable filière de production, avec 15 000 arbres à terme, et l’associer à un centre touristique qui ne soit pas Disneyland ! Il s’agit donc de développer un site touristique esthétique et singulier, de créer une expérience muséale, tout en faisant cohabiter cela avec une vraie filière d’approvisionnement qui aura été constituée, mise en place, développée pour être sous le regard de tout le monde. Dans les plantes à parfum, c’est une situation vraiment rare, et j’aime bien cette idée de poursuivre les deux buts à la fois.

Dans vos écrits, on sent l’importance des hommes derrière les plantes à parfum. Qu’en est-il ici ?

L’encens est très important culturellement pour la communauté omanaise. Et j’espère au fond de moi que ce projet mené sur le site du Wadi Dawkah va être à la hauteur de ses ambitions : contribuer à la renaissance de toute une filière, modèle possible pour le futur du gemmage dans les montagnes du gouvernorat du Dhofar. Car pour qu’Oman puisse revendiquer l’encens comme une fierté, il faudra que l’ensemble du processus soit transparent, éthique, et réponde à toutes les exigences en lien avec la récolte de produits sauvages pour le parfum : pas d’arbres surexploités, un prix décent pour les gens qui travaillent sur les arbres, etc. Et selon moi, il n’y a aucune raison de penser que cela n’est pas possible.

Visuels : © Amouage

AU SOMMAIRE DE NOTRE GRAND DOSSIER « WADI DAWKAH »

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