L’actualité de l’art olfactif a rarement été aussi prolifique que cette année. Nez vous propose un tour du monde, non-exhaustif, des expositions parfumées à voir, mais surtout à sentir en ce printemps et début d’été 2022.
La multiplication récente des projets artistiques olfactifs à travers le globe montre à quel point ces pratiques tendent désormais à se démocratiser au sein des arts visuels et plastiques, et combien ce médium qu’est l’odeur trouve des applications qui dépassent de loin la création et la commercialisation de parfums par l’industrie. Les senteurs font partie intégrante des ressources à disposition des artistes de toutes les disciplines pour s’exprimer, pour converser avec nos esprits et nos corps, pour créer formes et récits, pour questionner le monde, ouvrir les possibles, créer la surprise et, parfois, la beauté. Alors la prochaine fois que vous vous rendez au musée, n’oubliez pas d’ouvrir grand les narines !
Pour la sixième grande édition thématique de l’événement lille3000, intitulée « Utopia », qui regroupe plus de 35 expositions dans la ville de Lille, la métropole européenne lilloise et la région Hauts-de-France, le belge Peter de Cupere présente jusqu’au 2 octobre une série d’œuvres sculpturales olfactives, dont certaines inédites, inspirées par divers scénarios liés au réchauffement climatique.
Dans le cadre de l’exposition « Le Jardin d’Eden », curatée par Siegrid Demyttenaere et Sofie Lachaert à l’Église Sainte-Marie-Madeleine, les visiteurs peuvent notamment découvrir la gigantesque Flower Fragrum Cardamomi, installation de 9 mètres de haut représentant un bulbe de fleur dont la surface est recouverte d’un vernis scratch-and-sniff, à gratter pour dégager les odeurs. Par ailleurs, ses iconiques et étrangement dystopiques Smoke Cloud, Factory Tree et Olfactory Tree proposent aux visiteurs de respirer des effluves grinçants de la pollution aérienne qui étouffe peu à peu nos écosystèmes.
Une série de nouvelles créations s’expose aussi à la Maison Folie Moulins : de délicates fleurs de sel aux parfums océaniques dont l’aspect évoque le blanchissement corallien et que l’artiste imagine issues d’un monde futur où le sel marin aura submergé les continents suite à la fonte irrémédiable des glaces…
En ce printemps 2022, la canadienne Julie C. Fortier révèle également plusieurs œuvres inspirées de la nature – préservée celle-ci – notamment au sein de l’exposition polysensorielle « La fin est dans le commencement et cependant on continue » à la Fondation d’entreprise Martell de Cognac. Forme nouvelle dans le travail de l’artiste, son tapis olfactif Que salive l’horizon, tufté à la main, diffuse trois odeurs à venir humer au ras du sol, et invite à se prélasser comme on s’allongerait dans l’herbe parfumée en été. La plasticienne présente aussi l’installation Eau succulente, composée de six parfums et de six aliments disposés sur une table en spirale, une incitation à croiser les sens et à observer leurs subtiles interactions.
Également exposée dans « Faut-il voyager pour être heureux ? » à la fondation EDF à Paris, Julie C. Fortier y redéploie son installation murale Ascension, nuage composé de 44 000 touches à parfums imprégnées de quatre compositions différentes et créé à l’origine en 2017 aux Beaux-Arts de Rennes.
La Biennale Design de Saint-Etienne accueille également jusqu’au 11 juin, sous le commissariat du Collectif Jumel, une exposition hors-les-murs en partenariat avec l’École nationale supérieure d’art et de design de Saint-Étienne et sous le parrainage de l’artiste Boris Raux. Intitulée « Ces routes ne vont nulle part », elle est installée au sein de la Brasserie Stéphanoise, haut lieu d’odeurs et de saveurs, qui pour l’occasion accueille les œuvres sensorielles des six artistes sélectionnés par Melissa Douville et la plasticienne Juliette Delecour : Lorie Bayen El-Kaim, Merryl Bouchereau, Floriane Kisa, Rosalie Parent, Atelier Pers et Antoine Salle. Une dégustation de bières spéciales aura lieu le samedi 11 juin pour le finissage.
Juliette Delecour, membre du Collectif Jumel, montre par ailleurs une installation olfactive intitulée Chanele N5 dans le cadre du Off de la Biennale de l’Art africain contemporain qui se tient à Dakar du 19 mai au 21 juin.
Au musée international de Parfumerie, à Grasse, vient également de débuter l’exposition « Respirer l’art. Quand l’art contemporain sublime l’univers du parfum » qui durera jusqu’au 5 mars 2023, l’occasion de faire dialoguer les collections du musée avec un grand nombre d’œuvres de médiums variés, prêtées par des institutions publiques, des galeries, des collectionneurs privés, ou les artistes eux-mêmes. On y retrouvera des œuvres de Peter de Cupere, Julie C. Fortier et Boris Raux, mais aussi Helga Griffiths, Emma Febvre et Jérémie Topin, Francis Kurkdjian et Sophie Calle, Daniel Pescio, Antoine Renard, Hayoun Kim, Hicham Berrada, Ernesto Neto, Duy Anh Nhan Duc, Isa Barbier, Pierre et Gilles, Frédéric Pasquini, Ali Cherri, Jean-Pierre Bertrand, Sylvie Fleury, Andrea Branzi, Jean-Michel Othoniel, Martynka Wawrzyniak, Gilles Barbier, etc. Nez sera également présent à travers l’exposition des parfums issus de sa collection 1+1, accompagnés d’œuvres des artistes impliqués dans leur création.
Du 25 mai au 10 juillet à Vitry-sur-Seine, le français Jean-François Krebs, dont le travail performatif, visuel, tactile et olfactif s’articule autour des question de limite des corps, de la transformation en végétal et des rites de guérison, présente une installation au sein de « Cosmogonias », à la Galerie Municipale Jean Collet. Conçue comme un espace immersif, l’exposition allie les œuvres de trois artistes ayant en commun un goût pour les combinaisons du vivant et les mutations de la matière : Marie-Sarah Adenis, Valentin Ranger et Jean-François Krebs. Conçue par ce dernier, une sculpture-fontaine en ouraline – un verre contenant de l’uranium qui lui donne un éclat fluorescent – accueille les visiteurs avec un rituel de blessing olfactif à l’eau de rose, de verveine ou de jasmin, selon le moment de l’exposition. Composée de reproductions de fragments de corps humain, de plantes vivantes dans un système semi-hydroponique, d’extraits de plantes aromatiques, médicinales ou sacrées et d’eaux florales, son œuvre Réaction sombre distille quant à elle une puissante aura mêlant parfums de camphre, d’anis étoilé, de sauge, de jasmin et de vétiver. Présentée dans sa phase Réaction claire lors du 72e festival Jeune Création à Romainville, le titre de cette œuvre évolutive qui mêle l’humain et le végétal fait référence aux deux phases de la photosynthèse. Un week-end de performances olfactives viendra clôturer l’exposition.
Enfin, en France toujours, le jardin botanique et exotique de Roscoff dans le Finistère accueillera du 26 mai au 17 juillet le projet graphique, olfactif et gustatif « ASAÉS » de la plasticienne Claire Xuân. Une sélection de matières premières – fleurs, fruits, herbes, algues et bois odoriférants – utilisées dans les arts culinaires et la parfumerie sera ainsi mise en images par l’artiste au gré d’une déambulation multi-sensorielle parmi les nombreuses espèces végétales du jardin.
Direction l’Italie, où la Biennale de Venise qui se tient jusqu’au 27 novembre est aussi l’occasion de découvrir « Es-senze » organisée par le commissaire Pier Paolo Pancotto dans les salles de l’étage noble du Palazzo Mocenigo, qui accueille le musée du parfum et du textile de Venise. L’exposition rassemble le travail d’une dizaine d’artistes internationaux – Mircea Cantor, Mateusz Chorobski, Jason Dodge, Bruna Esposito, Eva Marisaldi, Florian Mermin, Giuseppe Penone, Paola Pivi, Namsal Siedlecki, Achraf Touloub, Nico Vascellari et Luca Vitone – qui puisent pour l’occasion leur inspiration dans l’univers des odeurs et du parfum. Les œuvres présentées sont pour certaines d’emblée odorantes, comme les bâtons d’encens du plasticien roumain Mircea Cantor qui se consument sur des socles conçus par l’artiste, tandis que d’autres ont été associées à des parfums créés pour l’occasion, en concertation avec les artistes, comme c’est le cas de la sculpture de mains en terre cuite du français Florian Mermin, nimbée d’un halo de rose, et tenant entre ses larges paumes un pot-pourri de fleurs séchées.
Plus au nord, aux Pays-Bas, Claudia de Vos présente quant à elle quinze œuvres olfactives dans « Gurzicht, Sense of Nature » (jusqu’au 30 juin) au sein de différents espaces du Conference Center Drakenburg de la petite ville de Baarn. Photographies, collages, sculptures et tapisseries inspirés par les paysages sylvestres et le pouvoir thérapeutique de certaines essences naturelles exsudent, par divers moyens, des senteurs de mousse, de bois, de résines, de miel, d’herbe coupée, ou encore de champignon, qui invitent à respirer les images créées par l’artiste.
C’est en Allemagne que s’achève notre tour d’Europe, avec « Sensing the Unseen » de l’artiste Helga Griffiths, qui non seulement prête son œuvre Migratory Sense au MIP de Grasse, mais présente également jusqu’au 14 août de nouvelles installations au Saarlandmuseum Moderne Galerie à Sarrebruck. Ses œuvres multimédias, qui relient de manière abstraite le corps humain avec son environnement, font ici référence à l’histoire minière de la région. L’artiste a notamment rapporté de la dernière mine de charbon active d’Allemagne, la mine Prosper Haniel à Bottrop, un échantillon d’air encapsulé dans une ampoule en verre, de la même manière que Marcel Duchamp avait capturé 50 centimètres cubes d’Air de Paris dans une ampoule pharmaceutique en 1919. Baptisée L’Air du Charbon, cette capsule temporelle, mémoire invisible d’un paysage et d’une économie façonnés par le charbon, a également donné lieu à une édition parfumée.
De l’autre côté du monde, en Nouvelle-Zélande, l’artiste Jo Burzynska, formée à la composition de parfums à l’Institute for Art and Olfaction en 2016, dévoile son Eau Tautahi au centre d’art de Christchurch dans le cadre de son exposition de sortie de résidence intitulée « What Might We Find When We Stop Looking ? », visible jusqu’au 29 mai. Dans une démarche de psycho-géographie sensorielle et de réappropriation de l’espace urbain inspirée par l’Internationale situationniste, l’artiste a cherché à cartographier la ville selon différentes zones sensorielles : tactiles, olfactives, gustatives et sonores. La fragrance créée pour l’occasion se compose de trois accords inspirés de trois aspects de la ville de Christchurch : un accord « urbain » évoquant la poussière, le goudron et le café ; un accord « rivière » rappelant le parfum frais, vert et aquatique de l’Ōtākaro qui coule à travers la ville et enfin un accord « jardin » imitant l’odeur de l’humus, des feuilles et du bois.
Aux États-Unis, tandis que s’achève début juin l’exposition de design olfactif « Living with Scents » au Museum of Craft and Design de San Francisco, l’Institute for Art and Olfaction de Los Angeles met en avant le travail pluri-disciplinaire de Joe Merrell dans « The Fragility of Complex Things » (jusqu’au 1er juin). Plusieurs vidéos, tirages photographiques et deux parfums créés depuis le début de la pandémie révèlent au public les effets intimes de la crise sanitaire et politique de ces deux dernières années.
Projet de plus grande ampleur, « Once the Smoke Clears » de l’artiste Beatrice Glow occupera jusqu’au 2 octobre les espaces du Baltimore Museum of Art. Fruit de plusieurs années de recherche sur l’histoire socio-culturelle du tabac, l’exposition explore les réalités sociales et écologiques du commerce globalisé de cette plante originaire des Amériques. L’artiste y présente des aquarelles, des soieries imprimées et brodées, des objets modélisés en réalité virtuelle, d’autres imprimés en 3D et peints à la main, tous inspirés d’une culture visuelle occidentale imprégnée de colonialisme. Plusieurs expériences olfactives viennent compléter cette exposition multi-sensorielle qui donne à repenser la construction et la perception du monde que nous connaissons.
Enfin, à New York, ouvre le 3 juin l’exposition de M Dougherty « Your Dog Knows » à la galerie Olfactory Art Keller, que les visiteurs seront invités à découvrir avec leur chien, afin d’approcher le travail olfactif de l’artiste de manière désanthropocentrée !
Lire également sur Nez l’article Les œuvres à sentir cet été.
Visuel principal : Migratory Sense (2017), Helga Griffiths © Carlo Barbiero – Musée international de la parfumerie, Grasse
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