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Les logiciels d’intelligence artificielle s’immiscent peu à peu dans le processus de développement de parfums. De quelle manière s’articule le travail du parfumeur avec ces nouvelles méthodes ? Comment concilier cette approche rationnelle, mathématique, avec une démarche créative impliquant sensibilité et subjectivité ? L’avenir des parfumeurs est-il menacé ? Jean-Christophe Hérault, parfumeur senior chez IFF, explique les enjeux de ce qui est parfois présenté comme une révolution, tout en rappelant l’importance de l’intuition propre à l’humain.
En quoi consistent les programmes d’intelligence artificielle appliqués aux parfums ?
Il s’agit de super-algorithmes créés par nos ingénieurs, capables de calculs complexes à partir de bases de données : matières premières, formules, informations chiffrées provenant des consommateurs… Ces outils peuvent être intéressants car ils dépassent les aptitudes du cerveau humain, à la fois en matière de quantité de données traitées et de complexité d’analyse.
Que peuvent-ils apporter au travail des parfumeurs ?
Chez IFF, nous utilisons l’intelligence artificielle depuis 2006, et je dois dire que cela peut donner des résultats stupéfiants. J’ai par exemple soumis à notre programme une création qui avait été testée auprès de consommateurs. L’idée était d’améliorer ses performances auprès du panel sur certains attributs. J’ai suivi à la lettre les indications du programme, et la version retouchée a effectivement obtenu de meilleurs résultats que la version originale dans la perception des attributs visés. Le plus étonnant, c’est que les recommandations étaient très différentes de ce que j’aurais décidé moi-même, a priori. L’intérêt de l’intelligence artificielle, c’est notamment de proposer un autre point de vue et d’engendrer l’utilisation d’ingrédients nouveaux.
Avec le développement de ces programmes, aura-t-on encore besoin de parfumeurs ?
En tant que parfumeur, je suis bien sûr juge et partie, mais il me semble que oui. Ce nom est trompeur : il n’y a pas d’« intelligence » artificielle au sens propre du terme. Ce qui existe, pour le moment, c’est l’illusion d’une intelligence. Il s’agit de gestion des données injectées dans l’algorithme – issues de créations pensées par l’homme. La machine n’intervient pas dans la création pure : nous avons donc affaire à de la formulation augmentée plutôt qu’à de la création augmentée. Pour le parfumeur, c’est un guide, une aide, qui complète ses connaissances et son savoir-faire, mais qui ne les remplace pas. Par ailleurs, chez IFF, le programme d’intelligence artificielle est accompagné par des experts internes qui travaillent avec les parfumeurs.
Comment cela se traduit-il ?
Pour créer une bonne formule, il faut à la fois une grande connaissance de l’histoire de la parfumerie, une sensibilité, une vision, de la conviction, mais aussi parfois l’intervention de l’inconscient et du hasard – tout ce que l’intelligence artificielle ne propose pas aujourd’hui. Pierre Bourdon, qui m’a formé, m’a confié qu’afin d’imaginer Cool Water pour Davidoff en 1988, il avait décidé de revisiter le genre de la fougère en omettant intentionnellement la coumarine, qui en est un poncif. Il a déséquilibré sa structure vers davantage de fraîcheur. Il y avait là une véritable intention créative, mais aussi un zeste d’intuition : il m’a raconté avoir utilisé un ingrédient – que je ne citerai pas ici pour ne pas trahir de secret – sans avoir conscience du fait que celui-ci permettait de renforcer le caractère vert du parfum. Ce n’est que des années plus tard qu’il s’est rendu compte de son apport particulier. Pour donner naissance à ce parfum, il a aussi fallu à Pierre beaucoup de conviction, car il a soumis cette formule pour plusieurs projets. La proposition est allée plusieurs fois jusqu’en finale, mais elle perdait toujours, car c’était un parfum qui se démarquait trop des autres. Pourtant, Pierre croyait à sa formule, et finalement Cool Water a eu le succès que l’on sait. C’est pourquoi la création nécessite toujours le cerveau humain. Mais l’intelligence artificielle offre de nouvelles possibilités, résumées par l’expression « formulation augmentée ».
Cet entretien est tiré de :
Le Grand Livre du parfum – Pour une culture olfactive, 2e édition augmentée, 240 pages, Collectif, Nez éditions, 2020, 30€
- Disponible pour la France et à l’international : Shop Auparfum
- Disponible pour l’Amérique du Nord : www.nez-editions.us
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