Pour répondre aux enjeux de développement durable et à la demande croissante des consommateurs en matière de naturel, de plus en plus d’innovations permettent d’obtenir des molécules de synthèse à partir de ressources renouvelables. Quels sont ces ingrédients du futur ? Comment les obtient-on ? La frontière entre synthétique et naturel est-elle en passe de disparaître ? Les réponses de Jonathan Warr, vice-président du département recherche et développement (R&D) chez Takasago.
La synthèse est-elle compatible avec les défis environnementaux ?
L’histoire de la parfumerie a débuté en exploitant des ingrédients naturels, puis la palette des parfumeurs s’est beaucoup enrichie depuis la fin du xixe siècle grâce à des produits issus de la pétrochimie. Aujourd’hui, face à la demande des consommateurs et des marques pour des matières renouvelables et des technologies respectueuses de l’environnement, toute l’industrie du parfum travaille activement pour développer des molécules de synthèse qui ne soient pas issues de ressources fossiles. L’histoire de Takasago est très liée à la chimie des différentes essences du pin et, dès 1983, nos équipes, avec le professeur Ryōji Noyori (prix Nobel de chimie en 2001), ont réussi la synthèse chirale du L-menthol à partir d’essence de pin. Cette dernière nous permet de disposer d’un large portefeuille d’ingrédients synthétisés grâce au carbone renouvelable qu’elle contient – notamment le L-citronnellol et le L-cis-rose oxide, des notes rosées très utilisées en parfumerie fine. Nous sommes par ailleurs la première société de composition à avoir affiché dès 2014 le pourcentage de carbone renouvelable dans toutes nos matières premières, à travers notre Biobased Index.
Quelles sont les autres innovations permettant d’obtenir des molécules de synthèse à partir de naturels ?
Les biotechnologies sont une tendance importante du marché : en s’appuyant sur le vivant (enzymes ou micro-organismes), nous sommes aujourd’hui capables de transformer des matières premières d’origine naturelle pour produire des molécules obtenues jusqu’ici grâce au pétrole. Depuis 2018, nous élaborons ainsi du Biomuguet, que l’on peut substituer au Lilial ou au Lyral [molécules à odeur de muguet très utilisées en parfumerie fine et fonctionnelle, mais limitées par l’IFRA], à partir de la canne à sucre. Le Biomuguet n’est pas classé comme un ingrédient naturel, car la dernière étape de sa transformation relève de la chimie, mais il contient 100 % de carbone renouvelable. Une autre manière de réduire notre impact sur l’environnement est de développer des ingrédients issus de déchets, grâce à l’upcycling. Certains peuvent être un point de départ pour arriver à de nouvelles matières premières, y compris par l’intervention de la synthèse. Nous utilisons diverses sources telles que le limonène, résidu de distillation de l’orange, pour obtenir le carvone [terpène présent notamment dans la menthe et l’aneth].
Ces matières premières constituent-elles les ingrédients de demain ?
Il existe une pression des marques pour que les ingrédients composant leurs parfums soient issus de naturels, car cela correspond aux attentes des consommateurs. Ces matières sont donc en plein développement, mais elles restent minoritaires. D’abord parce que nous sommes confrontés à des enjeux de prix, de traçabilité et de disponibilité qui freinent leur avancement. Et ensuite parce qu’on ne peut pas encore tout faire à partir de renouvelables – il faut accepter certaines limites olfactives, ce à quoi les grandes marques ne sont pas toujours prêtes. Dans la palette du parfumeur vont donc continuer à coexister les naturels, les synthétiques issus de naturels et ceux provenant du pétrole… au moins à moyen terme.
Cet entretien est tiré de :
Le Grand Livre du parfum – Pour une culture olfactive, 2e édition augmentée, 240 pages, Collectif, Nez éditions, 2020, 30€
- Disponible pour la France et à l’international : Shop Auparfum
- Disponible pour l’Amérique du Nord : www.nez-editions.us
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