Ajnalogie, 100Bon et Petite Mila : le retour des parfums thérapeutiques

Au delà de la « vague naturelle » que connaît la parfumerie aujourd’hui, de jeunes marques émergent avec des compositions qui proposent d’équilibrer nos émotions et notre humeur. Qu’elles prônent l’aromachologie, l’aromathérapie ou l’olfactothérapie, elles ont toutes un objectif commun : le bien-être à travers l’olfaction. Nous les avons rencontrées pour tenter de mieux comprendre leur démarche.

Avant de connaître sa dimension esthétique et hédonique aujourd’hui évidente, le parfum a connu plusieurs fonctions au cours de l’Histoire : spirituelle, hygiénique, et bien sûr… thérapeutique. Jusqu’à la fin du XIXe siècle et la découverte du rôle des microbes dans le déclenchement des maladies, on les utilisait pour soigner ou prévenir les maux, qu’on assimilait aux mauvaises odeurs, ou miasmes, que dégageaient les corps.

Dans l’Égypte antique, c’était déjà l’usage principal des compositions odorantes, et si les Égyptiens offraient aux dieux le kyphi, premier parfum officiel de l’histoire, ils le buvaient également, dilué dans du vin. Cette substance était notamment réputée pour soigner les problèmes de digestion et pour aider à se détendre. Les Grecs ont hérité de ces pratiques, et ils préconisaient aussi de s’enduire les narines de parfum pour réjouir le cerveau.

Durant la peste noire en France, on plaçait dans les maisons des objets parfumés appelés pomanders et oiselets de Chypre pour purifier l’air, et on pensait que Le Vinaigre des quatre voleurs protégeait de la maladie. Au Moyen Âge, les religieuses et les moines ont commencé à cultiver des plantes aromatiques médicinales pour fabriquer les baumes, vinaigres et parfums thérapeutiques. Certaines de ces officines, comme celle de Santa Maria de Novella à Florence existent toujours, et leurs produits sont maintenant positionnés comme des soins haut de gamme.

Enfin, l’Eau de la reine de Hongrie, l’Eau des mille fleurs, l’Eau de Carmes, puis l’Eau de Cologne étaient aussi bien ingérées qu’utilisées sur le corps en friction pour soigner les maux physiques, psychologiques, ou encore pour conserver sa beauté et sa jeunesse. 

Les pouvoirs thérapeutiques des parfums et des substances odorantes sont à l’origine de plusieurs thérapies alternatives modernes : l’olfactothérapie ou, comme la décrit son créateur Gilles Fournil, le « mieux-être et développement personnel par l’odeur et la vibration des huiles essentielles » ; l’aromathérapie, science basée sur les principes actifs biochimiques des huiles essentielles pour soigner certains symptômes et pathologies, et l’aromachologie, la science des odeurs et de leur influence sur les comportements, les émotions, le psychisme et le bien-être.

Aujourd’hui, les parfums ont même fait leur entrée dans les services de chimiothérapie, de soins palliatifs, ou encore dans les maternités. Des associations telles que le CEW , dont fait partie l’aromachologue et olfactothérapeuthe Patty Canac, auteure des ouvrages Le Guide de l’odorat (2015) et Le Guide des émotions olfactives (2019), tous deux publiés chez Ambre éditions, ou Parfum des anges, un projet initié par la neurobiologiste Olga Alexandre, aident ainsi les patients à retrouver de l’appétit, mieux dormir, calmer leur douleur ou leur anxiété, trouver du réconfort, et même à retrouver la mémoire.

La dimension olfactive s’intègre même à certaines pratiques de bien-être comme le yoga : avec son association YOS, Béatrice Boisserie, journaliste au Monde, fondatrice du blog Paroles d’odeurs et collaboratrice de Nez, propose des ateliers individuels de « yoga olfacto-sonore » pour explorer les bienfaits des parfums. Ils ont selon elle un impact réel sur notre psychisme, nos humeurs, et sur notre système nerveux qui joue un rôle essentiel dans la gestion de nos émotions. Elle pratique le hatha yoga depuis 1988, et après s’être formée au yoga du son, elle s’est intéressée au lien entre le yoga et le nez, qui serait « une véritable porte d’entrée de l’énergie dans le corps ». Elle aime jouer avec le côté poétique et ludique du parfum : « au Japon, le mot sentir est le même que le mot écouter. J’aime me mettre à l’écoute du parfum et observer comment il résonne dans mon corps ».
« Inspirer un parfum, expirer une voyelle », telle est la devise de cette pratique qu’elle décrit comme « simple et accessible à tous, qui permet de renouer avec un espace intime paisible, solide et joyeux, grâce aux outils que nous offrent le yoga du son, la méditation et l’olfaction.» 

Ces dernières années, certaines marques se sont emparées du pouvoir guérisseur des parfums pour en proposer des déclinaisons prêtes à l’emploi. En 2016, la marque productrice de Fleurs de Bach, Elixirs & Co, lançait une collection d’eaux de toilettes thérapeutiques biologiques pour apporter « Audace », « Allégresse », « Félicité », ou encore « Harmonie ». L’année suivante, la start-up Le P’tit Sniff proposait le premier diffuseur d’odeurs nomade. Ce « doudou olfactif », qui fonctionne avec des cartouches parfumées, se glisse dans la poche et « permet de prendre soin de soi en choisissant des senteurs au gré de [ses] humeurs ».

Cette année, sans doute portées par la grande « vague naturelle » que connaît la parfumerie ces derniers temps, et aussi en lien avec la pandémie de Covid-19 que nous subissons depuis plusieurs mois, le rôle thérapeutique du parfum, aux dépens de son rôle esthétique, semble connaître un nouvel intérêt. En témoignent deux marques et une nouvelle collection qui ont émergé presque simultanément, avec des compositions qui proposent d’équilibrer nos émotions et notre humeur, chacune avec un positionnement légèrement différent. Nous ne les commenterons pas pour leur résultat créatif, certaines sont aussi brutes et dépouillées que d’autres complexes et difficiles à cerner, tandis que d’autres encore se révèlent attachantes malgré une légère impression de confusion… Qu’elles prônent l’aromachologie, l’aromathérapie ou l’olfactothérapie, ces marques ont toutes un objectif commun qui s’inscrit au delà de la dimension esthétique : le bien-être à travers l’olfaction. Nous les avons rencontrées pour tenter de mieux comprendre leur démarche.

Ajnalogie : « Faire respirer les âmes »  

Ajnalogie

Passionnée de parfums depuis l’enfance et diplômée de l’Isipca en marketing international de la parfumerie, Agathe Jacquinet décide en 2019 de développer une gamme de cinq parfums d’aromachologie 100% naturels, pour « s’adapter à nos besoins énergétiques et émotionnels. Cette idée lui vient de son utilisation personnelle des parfums : « J’ai une approche émotionnelle au parfum, et j’ai l’habitude de changer de parfum tous les jours, voire plusieurs fois par jour, selon mes besoins ou envies du moment ». 

Le naturel est également au cœur du travail d’Eléonore de Staël, qui a composé les parfums de la marque : « La rencontre avec les matières premières a représenté un véritable éveil pour moi, il m’est apparu comme une évidence totale que mon métier de parfumeur serait autour de naturalité, c’est ma démarche profonde.»

Ajnalogie veut dire « la science de l’intuition ». C’est un mot qu’Agathe Jacquinet a inventé à partir de « “ajna”, qui est le nom sanscrit du chakra du troisième œil, situé dans la région du bulbe olfactif. Il y a bien sûr une grande part d’intuition : j’ai envoyé un message à Éléonore car son profil apparaissait sur mon Instagram sans que je sache pourquoi. On s’est rencontrées et ça a tout de suite fonctionné, on se comprend dans nos sensibilités. »

Cette rencontre avec Éléonore de Staël, diplômée du Grasse Institute of Perfumery, et lauréate du concours Corpo 35 en 2017, lui a permis de concrétiser sa vision, en collaboration avec une équipe d’expertes : « on a présenté chaque brief à Annick Le Guérer (anthropologue et historienne du parfum), Francine Joli (chimiste et chercheuse), et Sabine Le Camus (évaluatrice, professeur à l’Isipca et passionnée d’aromathérapie), qui nous ont guidées sur les pouvoirs chimiques des plantes, et sur certains aspects scientifiques du système olfactif. » Agathe Jacquinet a également puisé dans ses connaissances sur l’olfactothérapie et la fréquence vibratoire des plantes, acquises lors d’une formation donnée par Gilles Fournil.

Mais la démarche d’Ajnalogie ne se limite pas au parfum et s’inscrit dans une vision plus globale : « Nous organisons des ateliers de découverte des parfums à l’aveugle, durant lesquels les participants expriment les émotions que nos créations leur procurent, et souvent, les gens vivent les émotions des parfums sans même être guidés.» Par ailleurs, Éléonore de Staël vient tout juste de déposer sa marque de méditation olfactive : « Pour ce projet, nous avons conçu avec la joaillière Leïla Rejeb, un bijou de nez permettant de sentir le parfum tout en méditant. »

Les parfums

Parfum ajnalogie

Désir 2.0
Un « floral cuiré » construit autour de matières premières connues pour leurs vertus aphrodisiaques : gingembre, tubéreuse, iris, et muscade. Il est suggéré de le porter « pour toutes les premières journées chaudes de printemps, les soirées scandaleusement belles, les premiers rencards et les suivants. »

Sérénité 4.0
Ce gourmand oriental « réconfortant, presque régressif » est proposé pour « les journées où l’on reste sous la couette, pour l’enfant qui sommeille en vous et l’adulte qui n’arrive pas à dormir ». On y retrouve des notes apaisantes et relaxantes de vanille, néroli, jasmin et santal.

Confiance 5.0
Conçu comme une rose boisée, ce parfum offre « un ancrage profond pour affirmer pleinement sa personnalité ». La rose « favorise l’amour de soi », le poivre noir stimule la confiance en soi, le vétiver et le patchouli permettent « l’ancrage et apaisent l’anxiété ».

Cure 6.0
Le romarin, la menthe poivrée, la sauge, le lavandin, la limette et la verveine exotique font de cet « aromatique lumineux inspiré des anciens remèdes d’apothicaires » le parfum idéal pour « les jours de migraines, ceux dans le brouillard, ou pour la fin d’une journée bien productive ».

Méditation 7.0
Construit autour des pouvoirs apaisants de l’encens oliban et du palo santo, méditation 7.0 est une invitation à « entrer en soi, à calmer son mental et à contacter un état méditatif ». Il est recommandé pour « les heures éparpillées, pour les soirées en tête-à-tête avec vous-même, pour visiter votre temple intérieur ».

Eaux de parfum Ajnalogie, 65 euros/30ml
Disponibles sur le site de la marque.

L’Aromachologie, par 100Bon : « Respirer pour (re)sentir » 

100BON

Ancien directeur international des parfums Hermès, Christophe Bombana fonde en 2017 à Lyon la marque 100Bon, après une rencontre avec la société Robertet, un des leaders mondiaux des matières premières naturelles. Ses parfums sont vegans, composés à 99,91% d’ingrédients naturels, contenus dans des « bouteilles » ressourçables et recyclables, le tout fabriqué en France. 

Cette année, la marque dévoile une nouvelle gamme baptisée « L’Aromachologie », réalisée en collaboration avec Patty Canac, qui enseigne l’aromachologie à la Faculté libre de médecines naturelles et d’ethnomédecine et à l’Isipca. Elle participe également à un programme du CEW visant à stimuler la mémoire et le langage de patients victimes d’accident vasculaire cérébral et traumatisme crânien. Elle s’est basée sur son expérience d’olfactothérapeute pour formuler ces sprays aromachologiques : « Nous sommes au carrefour entre la parfumerie qui sent bon et celle qui apporte du bien être. Notre démarche n’est pas marketing, mais thérapeutique. Nous travaillons avec le système nerveux autonome, donc avec le système nerveux sympathique, lié à l’accélération du cœur et aux réflexes de fuite ou combat, et le parasympathique, lié au repos et à la détente. »

Elle a élaboré pour 100Bon sept « bulles olfactives » à vaporiser sur le corps, les cheveux et les vêtements : « L’idée est de trouver l’équilibre et (re)prendre la main sur vos émotions. Pour que ce soit efficace, il faut que nos parfums soient respirés, on peut aussi y ajouter un travail de cohérence cardiaque ».

Les parfums

Confiance en soi est une synergie de neuf huiles essentielles, dont celles de patchouli et de citron, à respirer « lorsque vous manquez d’assurance ».

Nouveau souffle est constitué de onze huiles essentielles, parmi lesquelles le cyprès et le sapin de Sibérie, à sentir lorsque « vous avez besoin de vous oxygéner pour recharger les batteries ».

S.O.S est à utiliser en cas « d’urgence émotionnelle ». Les huiles essentielles de ciste labdanum, camomille romaine et de lavande vraie ont été choisies pour mettre « du baume au cœur ».

Idées claires propose de vous aider à vous concentrer lorsque « vous vous sentez dissipé » grâce à sa synergie de onze huiles essentielles, dont le cèdre Atlas et la menthe poivrée.

Doux rêves mêle neuf huiles essentielles, dont le néroli et le petitgrain bigaradier à respirer « lorsque vous vous sentez surmené et que vous avez du mal à vous endormir ».

Lâcher prise réunit dix essences, dont le magnolia et un extrait CO2 de jasmin sambac, qui permettent de vous détendre « lorsque vous êtes stressé et que vous n’arrivez plus à relativiser ».

Moment présent associe le vétiver et le bois de gaïac à six autres huiles essentielles, pour vous ancrer « lorsque vous vous sentez déstabilisé dans votre quotidien ».

Parfums aromachologiques 100Bon, spray 19 euros/30ml, roll-on 16 euros/10ml
Disponibles dans les points de vente 100Bon et sur le site de la marque.

Petite Mila : « Sentir pour se sentir mieux » 

Petite Mila

Alors qu’elle rentre d’un voyage aux États-Unis en 2013, Caroline Quesnel, graphiste à Aix-en-Provence, fonde Petite Mila, une marque de textile respectueuse de la nature, avec une fabrication locale à partir de coton biologique. Inspirée par sa « pratique personnelle des thérapies énergétiques comme le yoga, le reiki, l’acupuncture » aux États-Unis et des « parfums auriques », sortes de boucliers olfactifs destinés à protéger l’aura, elle a récemment lancé trois « sprays énergétiques ». Composés à partir d’huiles essentielles biologiques, ces sprays s’inspirent de l’olfactothérapie et de l’aromathérapie énergétique, qui « s’intéressent au mieux-être par l’odeur et la vibration des huiles essentielles ». La créatrice a choisi de formuler ses parfums avec une naturopathe et non avec un parfumeur, car sa démarche n’est pas fondée sur la dimension esthétique des odeurs, mais plutôt sur les vibrations des plantes: « Chaque plante a sa propre fréquence vibratoire, et lorsque nous la consommons, nous absorbons cette vibration. Par exemple, pour le spray Ancrage, nous avons utilisé des huiles essentielles de grands arbres à racines très profondes, comme le sapin baumier. D’ailleurs, il n’y a eu aucun parfumeur dans le processus créatif, nous nous sommes uniquement appuyées sur notre ressenti et sur les études qui existaient déjà.»

Les synergies Petite Mila s’utilisent pour parfumer le corps, les lieux et les objets, et visent à agir « aussi bien sur le corps physique que sur le plan psycho-émotionnel et spirituel.»

Les parfums

Ancrage est une synergie pour « retrouver calme et sérénité », à travers les propriétés du sapin baumier (équilibrant), du petitgrain bigarade (régule les émotions), du niaouli et du palmarosa (apaisants, calmants). Ces huiles essentielles dont les vertus sont réputées pour favoriser « l’ancrage à la terre » visent à rétablir « l’équilibre de notre énergie. » 

Protection allie les pouvoirs vitalisant et équilibrant du pin et de l’ylang-ylang à la lavande, qui agit en « ange gardien » pour  « protéger du stress ambiant », et préserver l’intégrité de notre « corps énergétique » au quotidien.

Purification aide à « se libérer des tensions » et à « retrouver un équilibre émotionnel » grâce à une synergie de quatre huiles essentielles : le pamplemousse qui « détoxifie », le thym qui « stimule l’organisme », la verveine citronnée qui instaure « un sentiment d’harmonie » et l’orange qui « expulse les négativités et restaure l’aura ».

Sprays énergétiques Petite Mila, 24 euros/50ml
Disponibles sur le site de la marque.

Pour en savoir plus sur la dimension thérapeutique du parfum, nous vous invitons à lire le dossier « Le corps & l’esprit » dans le sixième numéro de Nez, la revue olfactive.

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