Si nous sommes tous capables de sentir, nous n’en avons pas tous conscience. Comment s’éveille-t-on au monde des odeurs ? Comment transforme-t-on une passion en métier ? Quelles sont les qualités requises pour exercer la profession de parfumeur ? Céline Bourdoncle Perdriel, parfumeuse senior pour la société de composition Cosmo International Fragrances, nous livre quelques clés.
Pouvez-vous nous raconter votre premier souvenir olfactif ?
Mon grand-père vendait tous les jours sur le marché une spécialité d’Agen, une viennoiserie appelée « tortillon ». Je me rappelle parfaitement les odeurs de l’atelier où il les préparait : la vanille, la fleur d’oranger, le citron, l’orange et le rhum qu’il utilisait, la pâte qui levait, qui cuisait… Je ne sais pas si c’est vraiment le premier, mais en tout cas ce souvenir est très puissant.
Quelles sont les autres odeurs qui ont marqué votre enfance ?
Nous avions un jardin plein d’arbres fruitiers et d’herbes aromatiques, tous très odorants. J’aimais particulièrement le parfum de notre chèvrefeuille, qui était absolument immense et que l’on sentait la nuit lorsque l’on dormait les fenêtres ouvertes pendant l’été, et celui du figuier, dont j’adorais ramasser les feuilles sèches pour les mettre dans le feu qui flambait dans la cheminée à l’automne. Comme mon père était médecin, j’étais aussi habituée à l’odeur du cabinet médical, du sang et de l’éther qu’on utilisait à l’époque.
Comment se manifestait l’attrait que les odeurs exerçaient sur vous ?
Très tôt, mon père s’est rendu compte que l’olfaction revêtait autant d’importance pour moi que la vision, par exemple. Il avait reçu en cadeau un coffret contenant une centaine d’échantillons des différents arômes du vin. Ce coffret était posé chez nous à côté du Minitel et de l’ordinateur, et je me revois passer des heures à renifler les notes d’agrumes, de tabac ou d’épices… Ma grand-mère m’avait aussi offert une belle boîte avec une vingtaine de fioles contenant des accords de rose, de jasmin, etc. Dans un autre registre, il paraît que j’étais obsédée par les odeurs corporelles… J’adorais sentir mon père au retour de son jogging ! À 11 ans, j’ai compris que j’identifiais les amis de mes parents grâce à leur parfum (Kenzo pour homme, Rive Gauche d’Yves Saint Laurent ou encore Boucheron), c’est là que j’ai pleinement eu conscience de mon sens de l’olfaction. Et j’avais une collection de miniatures de parfums que je passais mon temps à sentir et ressentir.
À quel moment avez-vous décidé de devenir parfumeuse ?
Quand j’étais en 4e, je suis arrivée dans la chambre de mes parents et je leur ai dit : « Je veux travailler sur les odeurs. » J’ai grandi dans le Sud-Ouest et je ne connaissais pas le monde du parfum. Par chance, le fils d’une des patientes de mon père était parfumeur à New York. Je lui ai écrit une lettre, il m’a répondu avec bienveillance et donné des contacts, parmi lesquels figurait Jean-Claude Ellena. L’année suivante, ce dernier m’a accordé un rendez-vous, et je suis allée à Grasse avec une copine qui avait le permis. J’étais hyper impressionnée, il m’a expliqué que la formation était longue et difficile, mais qu’il fallait que je me lance si j’y croyais. Presque trente ans plus tard, je suis toujours aussi admirative de son talent et de sa créativité.
Quel a été votre parcours jusqu’à présent ?
À ma sortie de l’Isipca, j’ai d’abord été parfumeuse analyste : je décortiquais des formules de parfums grâce à une machine appelée « GC-MS » (chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectromètre de masse). J’ai ensuite travaillé comme parfumeuse créatrice dans plusieurs sociétés, avant d’intégrer en 2020 Cosmo International Fragrances à Paris. Mon travail se concentre sur les eaux de toilette et les eaux de parfum – ce que l’on appelle la « parfumerie fine » –, mais je développe aussi des fragrances pour d’autres supports, tels que des bougies ou des parfums d’ambiance.
Comment apprend-on à sentir ?
Pour les plus petits, les éléments de la vie quotidienne offrent beaucoup de possibilités : faire sentir des thés, des épices, il n’y a rien de plus facile. On peut aussi imaginer des jeux où l’on doit goûter et reconnaître des aliments les yeux bandés. Même si la visée est éducative, le moteur doit toujours être le plaisir, donc ça peut être du Coca-Cola, des bonbons… Ensuite, si on veut aller plus loin et découvrir des matières premières naturelles, le plus simple est d’acheter des huiles essentielles, chez Aroma-Zone par exemple.
Et pour ceux qui veulent devenir parfumeur ?
Il est très important de continuer à sentir quotidiennement les ingrédients, de les décortiquer, d’y réfléchir… Ils constituent notre palette, qu’il faut bien maîtriser pour pouvoir créer des formules. Pendant mes cours d’olfaction à l’Isipca, la parfumeuse Isabelle Doyen nous faisait sentir une matière et nous devions essayer de la décrire. Elle nous disait qu’il n’y avait pas de mauvaise réponse, mais qu’il fallait se mettre d’accord pour pouvoir communiquer : elle écoutait tout le monde, elle nous guidait fortement, puis nous retenions de façon collective trois descripteurs pour chaque ingrédient. Ce que je conseille vraiment, c’est de constituer votre propre répertoire d’odeurs. Quand vous découvrez une matière première, avant de chercher à savoir ce que c’est, trouvez à quoi elle vous fait penser. De cette façon, vous vous créez un répertoire de ce qui vous fait penser à la pêche, à la plage ou à la neige. Cela vous sera utile ensuite, quand on vous demandera de créer des accords.
Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer le métier de parfumeur ?
Il faut d’abord être curieux, avoir envie de mettre son nez partout, et aussi très travailleur : nous employons environ 1250 matières premières, les combinaisons sont infinies, et il faut être prêt à utiliser ses méninges – voire à être réveillé en pleine nuit par un travail en cours ! C’est un métier solitaire, qui nous fait passer beaucoup de temps devant nos formules et nos mouillettes, mais qui implique aussi de savoir communiquer. D’abord avec les évaluateurs et commerciaux qui travaillent sur les projets de parfums, mais aussi avec les marques, nos clients, avec lesquels nous avons un rôle de représentation : les parfumeurs sont beaucoup plus exposés qu’il y a vingt ans. Et puis je crois qu’il faut une part de talent. Créer un parfum, c’est un art, même si cela nécessite un savoir-faire technique.
Comment contribuez-vous à éveiller l’odorat de votre entourage ?
Mes enfants, qui ont 13 et 16 ans, sont hyper sensibilisés à ce sujet, car je sens tout, tout le temps, et je les ai toujours poussés à sentir quand je cuisine, dans le jardin, partout… Ma fille s’est toujours montrée très intéressée : je lui avais même conçu un petit labo avec des accords, dont elle faisait des mélanges. Mon fils, lui, était attiré par ce qu’il sentait, sans l’exprimer comme sa sœur. Mais c’est en train d’évoluer : depuis six mois, tous ses amis me réclament du parfum ! Quand ils étaient plus petits, je leur préparais des jeux avec des photos et des odeurs à associer : la banane, la fraise, le mimosa… Et dans leur école primaire, j’organisais chaque année un après-midi de découverte olfactive avec des ateliers. C’était près de Grasse, on pourrait penser que les habitants de la région sont habitués à sentir, mais finalement tout le monde était avide d’apprendre !
C’est ce goût de la transmission qui vous donne envie de vous investir au côté de Nez en herbe ?
Absolument, avec l’envie de faire de l’olfaction un sens aussi important que la vue, l’ouïe et le goût. J’espère animer prochainnement des ateliers de découverte olfactive, pour lesquels Cosmo International Fragrances pourrait fournir des kits de matières premières, par exemple. Je trouve essentiel que les enfants reçoivent une initiation olfactive pour que chacun puisse entraîner son odorat. Notre nez est comme un muscle que l’on peut faire travailler. Et ce, à n’importe quel âge : puisque les odeurs sont liées aux souvenirs, il y a toujours quelque chose à quoi on peut les raccrocher. Quand je sens ce fameux tortillon que mon grand-père préparait, c’est magique : je remonte le temps !
COMMENT LES PARFUMS PEUVENT CONTRIBUER À NOTRE BIEN-ÊTRE
Depuis plus de quarante ans, Cosmo International Fragrances est reconnue pour son expertise dans le développement de parfums et d’ingrédients de parfumerie. À travers ses créations, la maison de composition a particulièrement à cœur de mettre en lumière le lien entre odeurs et émotions. Travaillant en étroite collaboration avec une olfactothérapeute renommée, la société a élaboré une approche scientifique et créative mêlant mesures physiologiques, évaluation sensorielle et questionnaires, afin d’identifier et de valider l’impact émotionnel des matières premières, des accords ou des parfums qu’elle propose. Grâce à ces connaissances, Cosmo International Fragrances conçoit des créations qui allient plaisir olfactif et bénéfices émotionnels mesurables, contribuant ainsi au bien-être que les odeurs peuvent procurer à chacun d’entre nous.
—
À lire également : Nancy Cavallaro (Directrice de l’évaluation chez Cosmo International Fragrances) : « Une véritable mission : éveiller le nez du plus grand nombre d’enfants possible »
—
Cet entretien est tiré du livre Manuel d’éveil olfactif – pour petits et grands, Nez, 2025








Commentaires