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Après avoir fait ses débuts en ligne, la parfumerie indépendante LKNU a ouvert ses portes en 2021 dans un centre commercial de luxe à Melbourne. Sa sélection d’une soixantaine de marques est servie par une approche résolument différente de la vente et l’expérience client. Interview avec Liam Sardea, enseignant chercheur en esthétique à l’université de Melbourne et education manager chez LKNU.
Comment est né LKNU ?
L’impulsion est venue d’une expérience de notre fondatrice, Lee, ex-comptable devenue make-up artist spécialisée en effets spéciaux. Elle a un jour voulu s’offrir un parfum pour une occasion spéciale, et a alors constaté qu’acheter un parfum à Melbourne n’avait rien à voir avec acheter un parfum à Paris ou ailleurs en Europe : le choix qui s’offrait à elle était limité, tout comme la qualité des conseils qu’elle s’est vue prodiguer. Il faut se rendre compte que la culture olfactive ici n’est vraiment pas la même qu’en France. Et bien que Lee ait fini par opter pour Fracas de Piguet – ce qui n’est pas mal ! – cela a suscité chez elle une réflexion sur l’expérience proposée à ceux, toujours plus nombreux, que le parfum intéresse ici en Australie. Finalement, elle a eu envie d’ouvrir sa propre boutique. LKNU a démarré en ligne en 2015, et l’adresse physique a ouvert en 2021, à la seconde où le déconfinement nous l’a permis. Mon titre d’education manager et le rôle que je joue dans la boutique sont au service de l’ambition première de LKNU : œuvrer pour une culture olfactive, transmettre la connaissance du parfum à ceux qui le souhaitent, et d’élever les standards de communication avec nos clients. Car le vocabulaire propre à l’olfaction tend à marginaliser tous ceux qui ne le maîtrisent pas. Pourtant il est tout à fait possible d’établir un dialogue sans lui. Je dis toujours à nos clients : « Même lorsque vous ne me dites pas ce qu’il faut, cela me rapproche de ce qu’il vous faut ».
Comment sélectionnez-vous les marques que vous vendez ?
Il est important que nos employés soient eux-mêmes convaincus par les marques que nous vendons. Parce que nous sommes une petite équipe, nous avons pu instaurer un processus de sélection qui implique tout notre personnel. Nous nous réunissons régulièrement et nous débattons, discutons. Chacun argumente pour ou contre les propositions des autres, et nous tâchons de parvenir à un consensus. Ces réunions sont le premier lieu où nous appliquons notre conviction que tout le monde a quelque chose à dire en matière de parfums. En ce qui concerne le choix des marques que nous soumettons à ces sessions de sélection, il ne répond à aucune logique ou critères pré-établis : la découverte est toujours une surprise. Nous sommes résolument ouverts à toute proposition créative, mais nous ne retenons que celles qui possèdent de réelles qualités intrinsèques. Cela étant, c’est une volonté forte pour nous de ne pas nous cantonner aux seules parfumeries française et italienne : nous avons par exemple beaucoup de marques thaïlandaises.
Qu’est-ce qui plaît aux amateurs de parfums de niche à Melbourne ?
Personnellement, j’observe ici deux catégories : d’un côté, ceux qui portent Santal 33 de Le Labo et Baccarat rouge 540 de Francis Kurkdjian ; des amateurs qui suivent les tendances et aiment les parfums à impact fort et au charme immédiat. De l’autre, ceux qui veulent sentir « différent ». La culture olfactive européenne commence enfin à se propager ici en Australie. Il y a donc des amateurs en quête de créations intéressantes, originales. J’aime penser que, chez LKNU, nous faisons bouger les lignes, un client après l’autre. Que nous permettons aux gens de découvrir que le parfum, au-delà de simplement sentir bon, peut raconter une histoire, véhiculer un message, exprimer une personnalité.
Comment définissez-vous l’expérience que vous offrez à vos clients ?
En premier lieu, nous posons comme base que notre boutique est un « safe space », un endroit où ils peuvent essayer librement et en toute sécurité. L’idée, c’est de mettre nos clients suffisamment à l’aise pour pouvoir leur faire des propositions qui sortent de leurs habitudes. J’aime rappeler que les Australiens sont des « omnivores » : à Melbourne par exemple, nous sommes habitués à consommer une très grande variété de cuisines. Celles-ci sont disponibles où que vous soyez, à toute heure du jour et de la nuit. C’est important de s’en souvenir, car cette ouverture permet réellement de les amener vers des créations différentes, si on le fait doucement. Il faut simplement trouver des connexions. Par exemple, si je conseille une personne qui porte Portrait of a Lady des Éditions de parfums Frédéric Malle, une rose patchouli au style baroque, je me demande comment introduire un élément nouveau sans changer radicalement de décor : peut-être une rose avec de la mousse de chêne, comme Eau suave de Parfum d’empire. Ou bien Rose Oud de Nicolaï. En définitive, LKNU propose un univers où il n’existe pas de constellations prédéfinies ; mais aide chaque client à établir des connexions, à repérer les schémas qui ont du sens pour lui. Nous essayons d’amener chacun à dessiner, dans ce vaste cosmos, sa propre constellation.
Qu’est-ce qui pousse vos clients à pousser la porte de LKNU ?
Déjà, notre boutique est très belle ! La circulation y est fluide et l’atmosphère lumineuse répond aux matériaux, chêne clair et velours. Quant aux miroirs – au plafond, sur les murs et les tables de présentation – ils donnent un sentiment d’espace et d’ouverture. C’est une esthétique relaxante. Ensuite, il y a cette liberté que nous essayons de communiquer à ceux qui viennent nous voir : nous encourageons les gens à explorer, sans jamais forcer l’achat. Trouver un parfum qui parle à votre âme, cela peut prendre du temps. Nous réunissons ces deux luxes que sont le temps et l’espace.
Quels freins observez-vous chez vos clients ?
Quelque chose que nous notons souvent, et surtout chez des hommes, c’est une forme de peur. Je l’interprète comme la conséquence logique d’une suite d’expériences trop souvent ratées : il n’y a rien de pire que d’aller dans une parfumerie et de se faire taper sur les doigts parce qu’on n’emploie pas les bons mots, comme si on était à l’école. Or beaucoup d’hommes ont déjà vécu cela. Cela aboutit à en faire des clients nerveux. Au final, c’est encore et toujours un problème de langage : ils ont peur de dire les mauvaises choses, de ne pas se faire comprendre. Chez LKNU, nous incitons nos clients à utiliser les mots qu’ils veulent, car leurs référents personnels, leur manière propre d’exprimer les choses, sont autant d’indices précieux pour nos vendeurs.
Que faites-vous d’un parfum qui ne se vend pas aussi bien que vous l’espériez ?
Chaque parfum a son heure. S’il a été choisi avec rigueur, s’il est qualitatif , nous sommes convaincus que cette heure-là viendra.
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Plus d’informations sur le site de LKNU : https://lknu.com.au/
DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »
- Une parfumerie confidentielle de moins en moins rare, par Jessica Mignot
- Sylviane Lust (Beauty by Kroonen) : « Nous choisissons des parfums complexes qui évoluent sur la peau, et où la liberté offerte au parfumeur est perceptible. », par Jessica Mignot
- Karine Torrent (Floratropia) : « Selon moi, la parfumerie 100% naturelle est la nouvelle niche », par Jessica Mignot
- Barbara Herman (Eris Parfums) : « Consciemment ou non, j’ai tendance à explorer pour chaque nouveauté une piste très différente de la précédente », par Sarah Bouasse
- Cécile Zarokian : « Il est possible de s’imposer face aux grandes maisons de création », par Guillaume Tesson
- Pissara Umavijani (Dusita) : « La plus grande difficulté pour un parfumeur, c’est d’exprimer sa signature dans des registres différents », par Sarah Bouasse
- Clara Feder et Michel Gutsatz (Le Jardin retrouvé) : « Nous cherchons à construire une collection équilibrée, tout en suivant notre devise : l’avant-garde en héritage », par Jessica Mignot
- Liam Sardea (LKNU) : « Nous essayons d’amener chacun à dessiner, dans ce vaste cosmos, sa propre constellation », par Sarah Bouasse
- Nathalie Feisthauer (LAB Scent) : « Pour moi, la niche, c’est une définition de la beauté », par Guillaume Tesson
- Dhaher bin Dhaher (Tola) : « Je consacre de plus en plus de temps au décloisonnement des cultures olfactives », par Guillaume Tesson
- Franco Wright (Luckyscent) : « Les habitués des créations grand public voient que la niche pousse la parfumerie dans des directions plus intéressantes », par Anne-Sophie Hojlo
- Luca Maffei (Atelier Fragranze Milano) : « La parfumerie de niche me permet de prendre tous les risques », par Jessica Mignot
- Murat Katran & Mert Guzel (Nishane) : « Istanbul constitue littéralement un pont entre les cultures », par Guillaume Tesson
- Agnieszka Lukasik (Galilu) : « Aujourd’hui, ce sont les marques qui viennent à nous », par Anne-Sophie Hojlo
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