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Créatrice de parfums indépendante installée à Paris, Cécile Zarokian a fondé sa propre société, Cécile Zarokian Parfumeur, et travaille pour de nombreuses marques en s’adaptant aux différents clients et marchés, de l’Amérique du Sud au Moyen-Orient en passant par l’Europe. Rencontre.
Comment s’est développée votre activité en tant qu’indépendante ?
J’exerce depuis dix-sept ans, en tenant compte de mes années chez Robertet, et je suis à mon compte depuis onze ans. J’ai longtemps jonglé en solo entre la création, l’administratif et la logistique… Pour rester efficace face à l’augmentation de la charge de travail, il a fallu agrandir la structure : nous sommes désormais trois à bord. Mon bras droit, Pauline Zimer, s’est formée à l’Isipca, après quatre ans au développement produit chez Hermès Parfums. Elle intervient sur la partie évaluation mais aussi sur la gestion des matières premières et la communication, entre autres… Laetitia Loviconi nous assiste sur la partie administrative et vente. La société se structure, et nous envisageons de prendre des locaux plus grands. Nous travaillons notamment pour des marques de niche d’envergures diverses : Amouage, Nishane, Masque Milano, Jacques Fath, Jovoy, Jul et Mad… L’objectif est de consolider et poursuivre ce développement, pour des maisons confidentielles mais aussi grand public. Parmi les dernières grandes réussites, il y a l’aventure Bossa, pour la marque brésilienne Granado du groupe Puig.
Vous étiez en lice aux côtés de Firmenich et Givaudan pour ce projet. Et vous l’avez remporté…
C’est peut-être la preuve que le modèle de l’industrie est en train d’évoluer. Il est aujourd’hui possible de s’imposer face aux grandes maisons. C’est la première fois qu’un parfumeur indépendant, et français, remporte un tel projet au Brésil, deuxième plus gros marché parfum au monde. Le challenge pour moi était de parler aux consommateurs de ce pays tout en me distinguant. Bossa talonne désormais le numéro un des ventes de la marque, et la presse brésilienne l’a décrit comme « le floral solaire qui manquait au marché ». C’est un signal fort envoyé à l’industrie !
Entre le désir de remporter un projet et celui d’imposer votre démarche créative, quelle est votre ligne de conduite, voire vos limites ?
Je ne travaille pas avec une parfumothèque [une collection d’accords déjà créés] : le sur-mesure commence toujours par une page blanche. Il faut savoir ensuite expliquer sa démarche. Et être capable de prendre une nouvelle direction créative si besoin. C’est rare mais cela peut arriver. Je préfère soumettre une seule proposition à laquelle je crois à 100% que deux auxquelles je ne crois qu’à moitié.
Quelles sont les clés d’un brief bien traité ?
J’en vois deux. En premier lieu s’adapter, en aidant le client à décrire ce qu’il souhaite, en apprenant à lire entre les lignes. L’autre clé, c’est de comprendre qu’on ne fera pas plaisir à tout le monde : le directeur de création, le service commercial… Moins il y a d’intermédiaires, mieux c’est. Car j’envisage cette relation comme un partenariat, pas comme un rapport de force. Au contraire, des tensions peuvent survenir quand les délais sont trop réduits. Il faut donc savoir poser ses limites. Accepter un travail pour la veille, cela ne sert personne. Lorsque j’ai besoin de plus de temps et de prix de revient, je n’hésite pas à le dire.
Comment vous impliquez-vous dans les projets ou dans les lancements des marques avec qui vous collaborez ?
Là encore, l’adaptabilité et l’agilité priment. En novembre 2020, la France est à nouveau confinée. Cela fait plusieurs mois que les réunions Zoom sont devenues la règle. Les voyages se font rares. J’apprends que pour Noël, au Brésil, Granado va mettre Bossa en vitrines. Sans hésiter, avec Pauline, nous avons pris le premier vol pour Rio pour pouvoir être au cœur de ce lancement majeur. La marque a ainsi pu organiser un tournage vidéo au Pain de Sucre, cet emblème de la ville qui figure sur le flacon de Bossa.
Juste avant notre dernier séjour au Brésil, en mars de cette année, j’ai réalisé qu’un de mes clients, Nishane, était distribué dans l’unique boutique de niche de Sao Paulo, Neeche. J’ai prévenu l’un et l’autre de ma visite. Un événement a alors été organisé au pied levé pour promouvoir cette marque indépendante turque !
Vous créez pour des marchés où le parfum répond à des usages et des attentes très différents. Comment composez-vous avec ces écarts culturels ?
Pour le Brésil, il a fallu composer un parfum estival et rafraîchissant avec une concentration plutôt légère, autour de 10%. À l’inverse, au Moyen-Orient, la puissance, la concentration sont des critères essentiels. Pour Epic 56 Woman d’Amouage, je suis allée jusqu’à 56%. Quant aux attars, ces parfums traditionnels sans alcool, à base d’huiles, ils atteignent 100% de concentration. Dans ce cadre, parvenir à respecter les normes IFRA relève du casse-tête. Mais le défi est fascinant et le résultat olfactivement très intense. J’ai ainsi créé récemment quatre attars pour Amouage, sortis en janvier dernier : Rose Aqor, Oud Ulya, Saffron Hamra et Leather Sadah.
Des liens particuliers vous unissent à cette maison…
C’est en effet pour Amouage que j’ai créé mon premier parfum, Epic Woman, à l’époque de mon apprentissage chez Robertet. Celui-ci reste à ce jour leur deuxième meilleure vente sur les féminins. Je suis en outre fière que Silver Oud, reconnu pour sa puissance, soit devenu un benchmark des parfums à base de oud – et que, d’édition limitée, il ait intégré la collection pour répondre à une forte demande ! Enfin, Rose Aqor m’a valu les félicitations de Dominique Ropion, que j’admire beaucoup.
À côté de la parfumerie fine, vous créez pour d’autres supports olfactifs, voire gustatifs…
Pour la soirée de lancement de la gamme des attars Amouage à Cannes, j’en ai décliné trois – Rose Aqor, Oud Ulya et Saffron Hamra – en edible scent, une version comestible du parfum à sprayer sur des cocktails soigneusement choisis. La mixologie est un univers qui me fascine ; j’estime que les mixologues font un peu le même métier que les parfumeurs. Ils peuvent passer des heures à se demander si dans telle création, le citron doit être utilisé sous forme de zeste, de jus ou d’essence. Mais je développe aussi des identités olfactives pour des hôtels, des malls, des marques de spiritueux…
En 2011, vous aviez collaboré avec un illustrateur, pour un projet où visuels et fragrances se répondaient. Si vous deviez à nouveau sortir de votre cadre quotidien, quel chemin emprunteriez-vous ?
J’adorerais travailler avec plusieurs artistes, de différents univers, notamment avec un chorégraphe. Mais ce qui m’anime le plus en ce moment est le désir de créer un parfum en collaboration avec le directeur artistique d’une maison de couture ou de joaillerie… Un rêve que je ne me serais pas permis il y a quelques années !
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- Plus d’informations sur le site de Cécile Zarokian : cecilezarokian.com
- Crédit photo : © Firas Shambeh
DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »
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