Mieke Van de Capelle

Mieke Van de Capelle : « Nous devons aider les étudiants qui veulent faire carrière dans notre filière »

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Fondée à Genève en 1895, Firmenich est aujourd’hui l’une des entreprises internationales majeures de l’industrie des parfums et des arômes. Nous avons interrogé Mieke Van de Capelle, la directrice des ressources humaines de l’entreprise sur son approche de la diversité, de l’égalité et de l’inclusivité pour notre article « All-inclusive » : la parfumerie affronte les inégalités, dans le onzième numéro de Nez, et nous vous dévoilons aujourd’hui l’intégralité de notre conversation.

Les problèmes de diversité et d’inclusivité sont en débat dans toute la société, accordez-vous plus d’attention à la parité homme-femme au sein de l’entreprise aujourd’hui ?

Ces thèmes ne sont pas nouveaux, ils nous préoccupent en réalité depuis des décennies, et on peut se réjouir qu’ils deviennent enfin mainstream. Nous cherchons toujours à faire des efforts en matière de diversité de genre – aujourd’hui 50 % de nos parfumeurs en parfumerie fine sont des femmes. Dans notre division consumer product, nous avons 60 % d’hommes et 40 % de femmes ; à l’échelle de l’entreprise 41 % du personnel de Firmenich est féminin. Nous nous approchons de la parité.

Pensez-vous encore transformer votre approche de ces questions à l’avenir ?

Il est certain que le débat sur le genre a été un des premiers à émerger, mais la discussion ne s’arrête pas là : l’inclusivité est un sujet qui concerne aussi les minorités au sens large du terme, en prenant en compte l’écart qui se creuse entre les riches et les pauvres. Notre industrie doit être plus représentative des différentes ethnies qui font partie de notre société, et cela, où que nous soyons implantés, ce qui nécessite d’être en phase avec des réalités qui sont différentes à New York, Paris ou Singapour. 
Nous ne voulons cependant pas nous en arrêter là, d’autant plus que le débat sur la diversité ethnique est devenu très important et que nous voulons nous adresser à des communautés, asiatiques notamment, qui sont en forte croissance. Nous cherchons donc en ce moment à intégrer un contingent de talents asiatiques au sein de nos équipes. De même, nous sommes conscients que la communauté nord-africaine en Europe est sous-représentée dans beaucoup de recrutements, tout comme la communauté noire aux États-Unis. Le travail que nous faisons dans notre recrutement se prolonge dans une réflexion et un débat autour du rôle des écoles et de l’éducation en général, car ces profils sont déjà sous-représentés dans l’enseignement supérieur, il faut donc donner à ces personnes les moyens d’accéder à nos formations.

Les formations à la culture olfactive sont en effet souvent élitistes, est-ce une chose sur laquelle une entreprise comme Firmenich peut travailler ?  

Tout à fait, et nous devons pour cela prendre en compte différents systèmes éducatifs des pays dans lesquels nous sommes implantés. Ainsi, nous avons une partie importante de notre activité aux États-Unis, où il n’existe pas d’écoles de parfum comme en France, et où les frais de scolarité sont encore plus importants dans les filières qui débouchent sur nos métiers. Nous devons donc repenser notre approche des étudiantes et étudiants intéressés par la chimie avant qu’ils ne terminent leur cursus et se projettent dans une vie professionnelle qui ignore notre secteur. Il y a peut-être beaucoup d’élèves qui sont au Lycée et qui sont très intéressés par le parfum mais qui n’ont pas les moyens ou la voie d’accès aux filières qui mènent à la parfumerie. Cela fait partie du débat que nous avons avec nos équipes américaines : comment identifier les talents potentiels, faire du sponsoring, donner des bourses, accompagner les gens dans leurs études ? Nous devons aider les étudiants qui veulent faire carrière dans notre filière souvent ignorée, quand bien même nous savons que certains abandonneront. C’est un maigre prix à payer pour s’entourer des meilleurs parfumeurs de demain. L’orientation est ainsi à repenser ; aux États-Unis, l’enjeu est important dès la fin de la « High School », en France beaucoup de choix sont aussi faits au début des études supérieures. Les entreprises comme la nôtre doivent soutenir la variété des recrutements.

Il est donc important de suivre cette voie à long terme ?

C’est une question de pertinence et de représentativité. Aujourd’hui, nous sommes très attentifs au travail des influenceurs. Ceux-ci ont des profils extrêmement divers, et ils donnent le ton. Les questions qui se posent sont alors les suivantes : est-ce que les talents qui travaillent pour nous reflètent la diversité des influenceurs ? Est-ce que notre façon de recruter, de donner une voix aux gens autour de nous, est en accord avec cette nouvelle réalité ? Nous savons que nous avons un long chemin devant nous pour y arriver. Le risque est bien sûr de prendre cela à la légère, comme un but marketing d’interprétation de la mode du jour, mais ce serait une erreur, car derrière ces influenceurs il y a des millions de personnes qui, à un moment de leur vie, partagent leurs émotions, leurs sentiments, leurs angoisses et leurs aspirations.

Dans ce contexte de globalisation, quels liens avez-vous avec la parfumerie grassoise qui a auparavant dominé le secteur ? Quel poids a-t-elle aujourd’hui ?

Firmenich est une entreprise suisse implantée dans le monde entier, et nous avons à Grasse une usine d’ingrédients naturels et des parfumeurs exceptionnels au sein de notre nouvel atelier de création, la Villa Botanica. Grasse est à l’origine de notre travail, c’est encore un centre important pour nous, mais il prend place parmi d’autres centres, comme ceux que nous avons en Chine ou au Brésil, qui sont parfois plus grands. Nous avons également monté un atelier de création à Shanghai, un autre à São Paulo, nous sommes implantés au Brésil depuis des dizaines d’années. 

L’industrie du parfum est aussi présente dans des endroits du monde particulièrement pauvres, où le parfum se vend peu mais où les matières premières abondent, comme les Comores ou Madagascar. Comment inclure davantage ces espaces et leurs habitants dans une dynamique plus égalitaire ?  

C’est une question cruciale en effet, qui concerne la pérennité de notre action. Nous sommes dépendants de matières premières naturelles, que l’on doit continuer à cultiver : si l’on ne permet pas le développement de l’agriculture, il n’y aura plus de récoltes, ni de parfum. Nous avons donc besoin des agriculteurs et de leur motivation pour participer à nos travaux. Nous avons ainsi un grand projet à Madagascar, où la culture de la vanille est très importante : nous sommes en train de bâtir des écoles pour former les générations futures d’agriculteurs. Pour cela, nous apportons de nouvelles techniques afin d’améliorer le travail et les récoltes, nous mettons aussi en place des garanties de prix pour des produits tels que le vétiver, l’ylang-ylang ou la vanille. Ainsi, même si certaines années la récolte est moins importante que prévu, du fait des changements climatiques par exemple, notre prix d’achat pour la production permettra aux agriculteurs de continuer à faire leur travail dans de bonnes conditions. L’hiver dernier, les importantes manifestations d’agriculteurs en Inde nous ont rappelé que si leur travail ne rapporte pas suffisamment, ils sont contraints d’arrêter, parfois de changer de métier, alors tout le monde est perdant.
Notre responsabilité est donc de leur garantir des marchés année après année, mais aussi de contribuer sur les thèmes des droits humains. Cela fait partie de la gestion de la pérennité de notre filière. Nous allons voir les pratiques sur le terrain et les documentons, afin de nous assurer que la législation est respectée, qu’il n’y a pas de recours au travail forcé, par exemple. Cela relève de notre responsabilité. Nous nous engageons auprès des communautés agricoles afin de garantir à tous une activité durable. 

L’enjeu est alors de travailler à un développement en harmonie avec les différents milieux sociaux traversés par l’activité de l’entreprise ?

Oui, et ces questions sont importantes au-delà de notre industrie. J’ai vécu quatre ans aux États-Unis, de 2008 à 2011, j’étais à Chicago : c’est une ville qui représente l’âme américaine, sa diversité mais aussi son manque d’inclusivité. J’ai vu que les entreprises faisaient énormément d’efforts pour des questions de chiffres, pour pouvoir dire : « j’ai plus de femmes, j’ai plus de noirs, etc. », mais ce ne sont pas les chiffres qui donnent une voix à ces personnes, il faut véritablement leur permettre de s’épanouir au sein des entreprises. Les employés veulent travailler dans des sociétés qui reflètent leur vie, si leur voix n’est pas entendue, ça ne marche pas. La situation est aujourd’hui paradoxale : il y a beaucoup de gens qui ne se sentent pas inclus, qui ne voient pas comment s’orienter professionnellement, et en même temps de nombreuses entreprises qui ne savent pas comment avoir accès aux talents de demain.  
Nous ne sommes qu’un reflet de la société et nous ne devons pas ignorer son évolution, ses tendances, ses demandes et ses manques. En tant qu’entreprise responsable, nous devons être capables de voir cela et d’agir. Parfois c’est facile, parfois ça ne l’est pas, mais on se doit de le faire car notre but est d’évoluer pour rester pertinents à travers nos créations. En faisant cela, nous donnons des emplois : pas uniquement aux milliers d’employés qui travaillent pour nous, mais aux centaines de milliers de personnes qui dépendent de nous, y compris les agriculteurs et leurs familles.

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