La récolte du poivre à Coilun dans le Livre des merveilles de Marco Polo. Bibliothèque nationale de France / Gallica.

Aliénation olfactive : quand la politique nous mène par le bout du nez

Si l’odorat fait figure de grand oublié dans la société contemporaine, il n’en est pas moins essentiel à la socialisation, à la découverte du monde ou encore au travail de la mémoire. L’environnement olfactif dans lequel nous évoluons est le fruit d’un héritage colonial, fait de violences sociales et de discriminations. Afin de lutter contre cette « aliénation olfactive », il convient de revaloriser l’éducation, en portant une attention accrue au vivant et en limitant la pollution olfactive.

Ce texte est extrait de l’étude « J’éprouve donc je suis. Des politiques du sensible pour réhumaniser notre quotidien », un projet coordonné par Paul Klotz, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès (Paris 9e).

État des lieux

Parmi tous les sens, l’odorat semble être celui qui offre le moins de prises aux questions politiques. S’y intéresser relève bien souvent aux yeux du public au mieux d’un passe-temps curieux, au pire d’une lubie futile faisant perdre un temps que l’on pourrait réserver à des problèmes plus essentiels : crise écologique, luttes sociales, catastrophes climatiques… On ne peut qu’être d’accord face au traitement réservé actuellement à l’olfaction, qui se résume à sa production marchande – le parfum, lui-même trop souvent réduit à la répétition, où la créativité n’a que peu de place. Mais nous aimerions montrer que cette manière d’approcher les odeurs est le fruit d’une histoire complexe, qu’il est urgent de comprendre et de défaire pour affronter ces mêmes problèmes, qui s’expliquent en partie par ce que nous avons appelé une « aliénation olfactive », à la fois résultat et cause d’un rapport brisé au monde. On comprendra ainsi que notre rapport au nez est éminemment politique, dans le sens où elle pose la question du vivre-ensemble, entérine ou présuppose diverses discriminations et fonde plus généralement notre lien au vivant.

Le silence de l’odorat
Partons d’un premier constat, qui relève de l’évidence : on parle peu de l’odorat. La place qui lui est laissée dans les médias est majoritairement reléguée à celle d’une chronique parfum, souvent écrite sur la base d’un dossier de presse et principalement présente dans les journaux dits féminins. En comparaison avec les autres sens – la vue, qui régit notre mode de vie comme nos applications (Instagram, TikTok…) ; l’ouïe, étudiée depuis des siècles à travers, par exemple, la musicologie ; le toucher, dont la sensualité reste tributaire ; et même le goût, qui connaît certes peu de place dans les théorisations philosophiques, mais qui se voit mis sur le devant de la scène à travers l’intérêt récent pour la gastronomie et l’œnologie –, l’odorat semble se murer dans un silence bien particulier. On en oublierait même qu’il compose 80 % des goûts de nos assiettes. Il suffit de faire un tour dans une librairie pour constater cette absence : on ne sait jamais bien où ranger les quelques ouvrages sur le sujet, qui atterrissent finalement au bas des rayons de cuisine, de botanique, d’histoire ou de mode, sans jamais se voir attribuer de place propre.

Il faut avouer que les livres qui traitent d’olfaction restent rares, comme le sont les recherches sur le sujet. Si les premières analyses des oscillations du bulbe olfactif datent des années 1940, la compréhension plus poussée du mécanisme est plus récente, couronnée en 2004 par le prix Nobel attribué à Linda B. Buck et Richard Axel pour leurs travaux qui ont permis de connaître la famille des gènes de récepteurs olfactifs. Mais aujourd’hui encore, ce que l’on nomme « le code combinatoire des odeurs », qui permet d’identifier le fonctionnement de cette reconnaissance moléculaire, reste incompris pour plus de 40 % chez l’être humain1. Ce retard s’explique en partie par la dépendance du sujet olfactif aux neurosciences, dont la naissance est relativement récente. Mais les chercheurs – qu’ils soient entomologistes, primatologues ou sociologues – déplorent aussi une absence de financements pour le sujet.

Le développement d’une histoire des sensibilités, au XXe siècle, a permis de donner aux odeurs une nouvelle et importante visibilité, notamment avec la publication du Miasme et la jonquille² d’Alain Corbin en 1982. Une poignée d’ouvrages ont suivi. Malgré leur intérêt, ils doivent affronter le peu de publicité que l’on fait à ces thématiques.

Qu’on ne nous dise pas que l’intérêt du public est inexistant : l’expérience des professionnels en la matière confirme toujours l’inverse. Il faut plutôt voir là les effets d’une absence d’éducation. Car si le goût ne peut se targuer que d’une semaine de gloire, rien n’est fait pour l’odorat. Cela explique l’absolu désarroi auquel on se heurte lorsque l’on essaie de parler de senteurs : au-delà des simples « agréable » / « désagréable », peu de mots semblent (de prime abord) disponibles pour dire les odeurs, autrement qu’en renvoyant directement à une source (odeur de fraise, de chocolat) ; même si plusieurs recherches, notamment celles d’Asifa Majid et de ses collègues en 2017³, ont montré que cette aphasie était culturelle. Parés les parfumeurs et les parfumeuses, ce manque qui n’est pas propre qu’au français met à mal l’impression de légitimité que les individus voudraient avoir pour s’autoriser à en parler.

Anosmie : un seul sens vous manque et tout est dépeuplé
Un tournant a semblé avoir été amorcé avec la crise liée à la pandémie de Covid-19. La population, soudain affectée d’anosmie à grande échelle, reconnaît en partie les problèmes que cause cette perte – dont le nom est enfin prononcé. Les spécialistes de la question, comme le neurologue Moustafa Bensafi, reçoivent alors de nombreuses questions de malades paniqués⁴, montrant là encore l’absence d’éducation olfactive, mais aussi d’une quelconque considération politique pour ce sujet. Les kits de rééducation olfactive qui voient alors le jour sont le fruit d’initiatives privées.

L’importance du nez est mise en avant : l’anosmie passagère peut être cause de troubles alimentaires, de dépression, de fissuration du lien social, de décoloration du vécu. L’angoisse se fait sentir : la population touche du doigt un handicap. Mais cela n’a pas suffi pour qu’il soit reconnu comme tel par les pouvoirs publics, comme le voudrait l’association Anosmie.org, alors qu’il toucherait 10 à 15 % de la population. Quelques années plus tard, le sujet a de nouveau perdu son lustre pour les politiques publiques. L’odorat disparaît à nouveau du champ médiatique, comme un mauvais souvenir de la pandémie.

Les fondements d’une disparition
Une telle absence n’a rien de fortuit. Elle est construite par des siècles de dévalorisation du sens olfactif, comme l’a analysé la philosophe Chantal Jaquet, dans sa Philosophie de l’odorat¹, explique qu’il s’agit, selon Kant, d’un sens « associable », car les perceptions olfactives sont souvent involontaires : l’autre s’impose à nous par le nez avec notre respiration. Mais il s’agit surtout d’un sens « bestial ». L’utilisation de notre nez nous renverrait à notre animalité et, par extension, aux plaisirs du corps. Les moralistes ont fait de cette association leur cheval de bataille, voyant dans la mauvaise odeur une expression du vice. Le parfum n’est pas mieux perçu par ce XVIIIᵉ siècle hygiéniste, dont Alain Corbin a dressé le portrait. Ce dernier se méfie des « miasmes », mais aussi du camouflage olfactif opposable à la vertu naturellement bien-odorante. C’est, enfin, un sens « faible » : la bipédie aurait réduit l’importance du contact odorant, selon Freud, et avec elle nos capacités olfactives.

Un sens d’attachement et de mémoire
Il serait faux de dire que les odeurs ont toujours été mal perçues dans le paysage humain. Leur usage rituel (parfum vient de per fumum, « par la fumée ») permettait une communication avec les dieux dans l’Antiquité. Des pratiques culturelles comme le Kôdô étudié par Chantal Jaquet, le Banho de cheiro au Brésil, le Bakhoor au Moyen-Orient, le Shamama en Inde ou le Thiouraye en Afrique de l’Ouest témoignent de leur importance. Leur valeur de purification dans les églises chrétiennes ou de communication avec le divin dans le bouddhisme en fait un élément essentiel de spiritualité. Plus encore, ces usages révèlent leur puissance : leur maîtrise apparaît comme nécessaire. Les différentes cultures avaient probablement saisi l’importance de ce sens, que nous comprenons aujourd’hui grâce à son fonctionnement physiologique. En effet, il est directement lié au système limbique, siège des émotions². La madeleine de Proust n’est pas devenue un topos littéraire par hasard. Nous avons tous connu ce voyage intime dans le temps et l’espace, déclenché par une senteur autrefois familière. Or, comme le montre en négatif le handicap des anosmiques.

Cette force mnésique participe à notre attachement au monde. L’artiste Julie C. Fortier a travaillé cette thématique dans une sculpture olfactive de 2018, nommée La rivière s’est brisée. Constituée de 152 perles de porcelaine poreuse de 3 à 40 centimètres de diamètre, reliées par une corde en coton et terminées par un fermoir en argent massif, cette œuvre a été imaginée à partir du homing, phénomène connu chez les saumons qui retrouvent par l’odorat leur rivière natale pour y mourir. Julie C. Fortier avait parfumé ces perles d’un parfum mêlant santal, camomille, phéromones et molécules présentes dans les sécrétions sexuelles. Au-delà de notre attachement aux êtres, les senteurs disent aussi notre attachement aux choses : époque, objets, habitudes. Le projet Odeuropa vise ainsi à reconstituer les odeurs que l’on aurait pu percevoir en Europe entre le XVIᵉ et le XXᵉ siècle, à partir d’analyses de textes et tableaux traités par une intelligence artificielle. Le projet s’inscrit dans la recherche d’artistes s’étant attachés à la reconstitution ou à la réinterprétation olfactive de lieux, d’êtres ou d’objets, comme celui de cartographie olfactive proposé par Kate McLean. Il s’inscrit également dans l’esprit de l’Osmothèque, à Versailles, qui s’est donné pour mission de préserver les œuvres olfactives à la manière d’un conservatoire.

Paroles, paroles
Cette puissance de l’odorat n’a pas manqué d’intéresser les industriels, qui se sont fait un devoir d’en tirer les ficelles du marketing olfactif : parfumer les boulangeries, les machines à laver, les voitures permet en effet de mieux vendre. Si notre environnement a été désodorisé, nous ne parlerons pourtant pas, comme Alain Corbin, de « silence olfactif », mais d’une cacophonie construite. Car le parfum n’est pas seulement le flacon que l’on achète sciemment en boutique : il fait partie de notre quotidien, qu’il s’immisce entre nos draps, dans nos douches quotidiennes ou dans les halls de nos gares. Ces odeurs – pensons, par exemple, à celle d’amande amère de la colle Cléopâtre – font partie de notre « patrimoine olfactif ». Mais ce « supplément d’âme » de la marchandise profite de notre inattention et de notre inculture olfactive pour provoquer l’achat à notre insu, opérant une manipulation contraire à l’idée de liberté valorisée par notre démocratie. Finalement, pour les grands groupes de parfumerie détenus par des milliardaires, qui discutent de techniques marketing, de progression des ventes et de positionnement sur le marché, la question de la culture olfactive apparaît comme un obstacle potentiel à la vente de masse. L’industrie joue en effet sur des cordes faciles que l’initié repère rapidement : déclinaisons à l’infini d’une meilleure vente, emploi de notes sucrées, ou encore – à l’heure de la crise financière – de matières puissantes qui tiennent au corps… Tout en déployant l’habituel attirail publicitaire qui met en avant de « belles matières premières », sans préciser que celles-ci ne sont utilisées qu’à un pourcentage très faible (0,01 %)¹, créant ainsi une forme de dissonance – et donc de déséducation – de notre nez, invité à percevoir ce qui n’est en fait pour ainsi dire pas là.

La colonisation des odeurs

Colonialisme et production olfactive
Le parfumeur Christophe Laudamiel a récemment publié une lettre ouverte à L’Oréal leur demandant que soit imposé un dosage minimum pour autoriser à mentionner un ingrédient dans leur communication. Or, en plus de tromper le consommateur et de mettre en péril les marques qui, elles, utilisent réellement ces ingrédients et ne consacrent pas la même dépense dans la publicité, ce discours faux entretient le rapport néocolonialiste de la parfumerie à ses producteurs de matières premières : « Si on ne met quasiment rien dans le flacon, on ne garantit rien au fermier, payé selon les volumes vendus. Augmenter son revenu ne changerait rien aux bénéfices énormes de ces groupes qui possèdent des poignées de licences et se félicitent de leurs chiffres annuels sans aucune honte ! », s’exclame le parfumeur.

Les grands groupes, cotés en Bourse, dévoilent des rapports RSE bien rodés où sont mis en avant ici les écoles créées en Afrique, là les partenariats tissés avec un producteur de rose de Grasse… Sans rien enlever à de telles démarches, nous pouvons cependant remarquer que les discours des producteurs ne vont pas dans le même sens – et ce notamment dans les anciennes colonies, où l’industrie du parfum a durablement changé l’organisation économique, sociale et territoriale. Les paysans récoltant la vanille à Madagascar peinent ainsi à vendre leurs gousses, auxquelles l’industrie préfère le plus souvent l’option de synthèse, plus rentable. La situation est plus complexe encore lorsqu’il n’y a pas de « salaire minimum », mais même dans les pays où il existe, il n’est pas nécessairement respecté et les aléas de production doivent le plus souvent être assumés par les paysans. Les sociétés travaillant avec des cultivateurs et cultivatrices du Guatemala, comme Nelixia, expliquent que leur difficulté pour négocier les prix afin d’atteindre un salaire minimum tient non pas à la bonne volonté des acteurs, mais au fonctionnement de ces grosses entreprises aux rouages complexes, finalement dominés par la main des actionnaires.

Le consommateur ne sait évidemment rien de cette réalité, cachée par le lustre d’une industrie de luxe, noyée dans les images de pétales charnus, transfigurée par le beau sourire d’une égérie. Pourtant, l’industrie du parfum telle qu’on la connaît aujourd’hui doit énormément à ces peuples et ces terres qu’elle a exploités. On parle souvent de l’essor de la synthèse pour expliquer la hausse de productivité de la parfumerie au tournant du XIXe siècle. Celle-ci a bien, certes, modifié les possibilités de création olfactive ; mais sans recours à d’autres terres et à une main-d’œuvre bon marché, voire gratuite, sans l’apport de matières premières « exotiques » différentes de celles qui poussent dans les pays riches, le parfum ne serait jamais devenu le produit de masse que l’on connaît.

Dans les années 1900 pullulent manuels, articles et autres dressant la cartographie des plantes à parfums dans les colonies, qui insistent sur l’intérêt de l’industrie à exploiter la « main-d’œuvre locale », de manière souvent débridée. Citons un écrit qui nous a paru exemplaire, celui du botaniste Auguste Chevalier : « Les colonies françaises de l’Afrique du Nord, Maroc, Algérie, Tunisie ont le devoir impérieux de se préoccuper de subvenir aux grands besoins de la Métropole en ces essences. […] La fabrication de ces essences hespéridées n’est pas compliquée : point d’outillage coûteux, fabrication simple et facile, main-d’œuvre peu coûteuse, féminine et enfantine. »

Certes, de tels discours ne seraient plus tolérés aujourd’hui ; pourtant, des investigations récentes ont montré que les pratiques sont parfois encore représentatives d’une telle vision : citons notamment le documentaire de la BBC en avril 2024 révélant le recours à du travail d’enfants pour la récolte du jasmin en Égypte, ou encore les pratiques d’asservissement des femmes opérant la cueillette d’ylang-ylang dans les Comores mise en avant par article publié dans Mediapart en 2023. Par ailleurs, les témoignages de cultivateurs et cultivatrices, qui rendent compte de l’impossibilité de survivre des paysans à cause d’une trop faible rémunération de l’industrie, sont facilement accessibles, révélant la décrépitude du modèle. L’injustice est incommensurable quand on pense aux bénéfices générés par les ventes de parfums pour l’industrie du luxe, avec un marché mondial des parfums toujours croissant, estimé à 28 milliards d’euros en 2022, partagé par une poignée de grands groupes, et dont la France est le leader mondial.

Les travaux de l’historienne Mathilde Cocoual montrent combien la mainmise sur les territoires colonisés a pu modifier les habitudes et mœurs des indigènes et jusqu’à la physionomie des territoires, sans qu’aucune compensation financière ni aucune reconnaissance de cette violence ne soit apportée. D’autres travaux, comme La colonisation du savoir de Samir Boumediene, qui porte plus spécifiquement sur les plantes médicinales du Nouveau Monde (dont certaines plantes sont utilisées en parfumerie), laisse percevoir l’importance de l’appropriation culturelle qui a pu avoir lieu, sans qu’aucun travail de mémoire panoramique ne soit conduit pour l’industrie du parfum, qui a pourtant extorqué bien des matières aux peuples exploités. Cette appropriation culturelle s’est transmuée dans l’esthétique dite orientaliste, traduisant une vision fantasmée de l’Orient opposée à l’Occident, qui charrie avec elle son imagerie sensualiste, avec des parfums comme Shalimar, et la mise en place d’une famille olfactive, celle des orientaux. Parce qu’il sous-tend une vision discriminante du monde, ce terme a d’ailleurs fait l’objet de vives discussions et tend à être remplacé par celui d’« ambrés ».

Mais l’esthétisation du colonialisme à travers les parfums est une illustration parfaite de ce que l’on nommera ici une « aliénation olfactive », participant à la mise en échec de notre rapport au monde. Nous reprenons le concept proposé par Marx pour exprimer, d’une part, le rapport distancié à notre odorat, la mise en place d’un système d’odeurs effaçant et se superposant à celles du vivant, mais aussi l’exploitation des populations qui ont prise avec les matières premières odorantes.

La chercheuse Sylvie Laurent, dans Capital et race, rend compte de l’importance qu’a pu avoir le geste d’exploitation des matières premières sur notre rapport au monde. L’historienne montre comment le système productif européen s’est fondé sur cet « esclavagisme de masse des Amérindiens, puis des Américains déportés » lors de la « découverte des Amériques » de Christophe Colomb en 1492, mais aussi sur une dépossession de la terre, « révolution inaugurale du capital », et avec elle la destruction des formes de vie existantes, aux effets écologiques dévastateurs. Or, cette mainmise sur les territoires Suppose une vision inégalitaire des êtres humains : l’exploitation capitaliste a pieds et poings liés avec le racisme. Or, ce racisme est lui-même fondé sur des discriminations sensibles, comme l’explicitent Christophe Granger et Sarah Rey dans leur Introduction à l’histoire des sensibilités : « Les sens sont centraux dans l’entreprise savante et politique qui soutient la formation des empires coloniaux. » Parmi eux, l’odorat n’est pas en reste pour faire de celles et ceux que l’on veut exploiter ceux que l’on considère comme absolument étrangers. Il permet notamment de les rapprocher des « bêtes » : pensons à Rousseau qui souligne ainsi l’acuité olfactive des « sauvages ». Les chercheurs l’explicitent : « Un racisme olfactif s’impose dans le monde atlantique entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, associant les populations noires d’Afrique à la puanteur, ou la manière dont l’olfaction est mobilisée durant la Grande Guerre pour disqualifier l’odeur de chou attribuée aux Allemands. »

Ce qu’il faut bien comprendre ici, ce n’est pas seulement que nous aurions développé une sensibilité accrue aux odeurs « étrangères » à nous ; c’est plutôt que nous avons utilisé cette excuse comme un critère de discrimination pour s’autoriser à exploiter les êtres humains qui ne faisaient pas partie de notre environnement direct, afin de satisfaire les plaisirs de ceux qui en faisaient partie.

Ce même travail de distanciation est perceptible au sein de nos sociétés européennes, lorsqu’un président se permet d’attribuer « le bruit et l’odeur » aux personnes immigrées en France pour justifier son racisme politique – c’est-à-dire pour les exclure de la société. L’odorat est ainsi diaboliquement politique, en ce sens qu’il est utilisé pour séparer, et rejeter, certains individus de la cité. Le nez, ainsi employé, devient une arme pour empêcher de faire société. Surveiller et sentir.

La période hygiéniste est également celle qui permet d’observer combien l’odeur est un élément important pour structurer la société et contrôler les mœurs. Les discours d’autorité de l’époque – religieux et médicaux – portaient alors de nombreuses injonctions à destination des femmes, comme l’explique la chercheuse et historienne de l’art Érika Wicky : « Le discours religieux convoquait en effet de nombreuses expressions en ce sens : les encourageant à répandre un parfum de bonté, de chasteté, etc. Inversement, les mœurs des prostituées étaient fustigées en termes olfactifs propres à exprimer le dégoût. Signes de différenciation de genre, de milieu social ou de mœurs, les odeurs jouaient aussi un rôle dans la catégorisation des différents âges des femmes. Cela est très frappant dans le discours médical où le parfum de la jeune fille – une figure importante de l’époque, comme on le voit par exemple dans les tableaux de Renoir rapporté à celui de la marjolaine ou de la framboise, fait l’objet de nombreux développements. En revanche, les jeunes garçons ne sont presque jamais décrits olfactivement. Et cette catégorisation se traduit dans l’éducation : confiée le plus souvent à leurs mères, elle passe notamment par de nombreuses préconisations hygiénistes. Les guides destinés aux jeunes filles, les traités médicaux, la religion ou encore la presse féminine dispensent autant d’injonctions souvent contradictoires en matière d’odeur et de parfum. »

Il faut aussi comprendre que l’idée selon laquelle les femmes devaient sentir les fleurs ou encore celle soutenant que les odeurs fortes étaient plus dangereuses pour celles-ci ne sont pas tombées du ciel. Elles servent à contrôler, à objectifier et donc à inférioriser cette catégorie de la population, en se donnant le droit d’y porter le nez, mais aussi, par exemple, en leur interdisant l’utilisation d’un médium artistique pérenne (la peinture à l’huile) au profit du pastel ne laissant que peu de traces. Et ce, note encore la chercheuse, tout en les poussant aux métiers de blanchisseuse ou d’infirmière, où la confrontation aux senteurs fortes et nauséabondes est pourtant quotidienne. L’odorat sert donc, en fin de compte, à mettre au pas les personnes subissant les mêmes discriminations qu’ailleurs – femmes, personnes racisées – pour mieux pouvoir les exploiter.

Aliénation olfactive

Brutalisation du nez : une généralité, des disparités.
C’est ce qui explique aussi que les personnes racisées subissent de plein fouet les odeurs les plus violentes, que l’on a repoussées avec elles en dehors des villes, voire loin de nos sociétés dites développées. Pensons aux exhalaisons liées au tannage, dont on sait la dangerosité ; ou encore à certaines colorations textiles, qui vont jusqu’à causer des troubles olfactifs, voire des anosmies, en plus des cancers. Les nuisances– qu’elles soient sanitaires, visuelles, auditives ou olfactives, souvent tout cela à la fois – sont déplacées hors de la « civilisation ». Le phénomène n’est pas nouveau : on en voit l’illustration la plus flagrante avec la période hygiéniste, dont l’étude d’Alain Corbin a montré les fortes évolutions. Le Conseil de salubrité du Département de la Seine dont se dote l’État en 1802 sera à l’origine de plusieurs classements des « établissements insalubres et dangereux », en 1804 puis en 1810. Considérés comme vecteurs de nuisances dont se plaignent les habitants, foulonneries, tanneries et autres savonneries devront désormais s’établir à une certaine distance des habitations. Mais ils emportent avec eux leurs travailleurs, qui devront donc s’établir en périphérie de la ville ; ainsi Naissait la banlieue, comme l’explique l’historienne Eugénie Briot. Aux civilisés – comprendre, aux bourgeois – le luxe d’un environnement olfactivement apaisé ; aux pauvres – et aux personnes racisées – les pestilences, qui permettront par ailleurs de leur reprocher leur manque d’hygiène. Avec leur action « ode aux rats », les militants et militantes d’Extinction Rebellion rappellent que la fast fashion est une industrie puante, mais ils replacent aussi, sciemment ou non, les émanations nauséabondes que subissent les travailleurs sur leur lieu de consommation par les sociétés plus aisées. Pensons également aux nuisances qu’ils ont mis en avant sur les chantiers comme ceux de l’autoroute A69, qui implique la création d’usines à bitume, avec leur cortège de molécules malodorantes et toxiques, à proximité de plusieurs écoles, champs et habitations. L’injustice sociale se joue aussi au niveau du nez : si l’on avait dû construire de telles unités fumantes à proximité de leur habitation et des champs qui les alimentent, nul doute que les dirigeants auraient pris une autre décision. La nécessité tient parfois à peu de chose.

Une crise des sensibilités
Une telle manipulation topographique des odeurs a contribué à provoquer une « aliénation olfactive » où les senteurs deviennent finalement des symboles, des objets de pouvoir et de discrimination, des principes marketing plutôt que des propriétés réelles des choses. Dans les quartiers riches, on désodorise, on parfume : on enlève au monde ses odeurs pour lui en attribuer d’autres, perçues comme civilisées. Les effluves des quartiers populaires, chez Zola déjà, sont plus épais, crasses, persistants, on en oublierait presque qu’il s’agit d’un état de fait plutôt que d’un état de nature (lequel relève d’ailleurs du mythe plus que d’une quelconque réalité) : l’organisation du territoire, son entretien et la densité de population est radicalement différente. L’odorat nous rappelle par ailleurs que nous ne vivons pas seulement dans notre environnement immédiat : nous partageons un monde. Si les mauvaises odeurs sont plus importantes – car déplacées – dans les lieux moins privilégiés, nous finissons par partager les conséquences des nuisances d’abord éloignées. Évidemment, nous ne les subissons pas avec la même force, loin de là ; mais, comme dans le cas du climat, si les premières touchées sont les populations pauvres, le dérèglement se joue quant à lui au niveau planétaire. De même, les pollutions olfactives sont subies par celles et ceux que l’on exploite, mais les pollutions olfactives liées par exemple à nos déplacements individualistes atteignent de leurs particules fines chacun d’entre nous. Les recherches sur les conséquences olfactives de certains pesticides, mal connues sur les autres animaux et sur les insectes, restent également peu étudiées pour l’humain. C’est peut-être aussi dans cet environnement saturé que les parfums puissants, désormais prisés par le grand public, trouvent leur place. L’émergence d’une tendance n’est certes jamais unifactorielle : celle des « bois ambrés », ces senteurs puissantes qui habitent déodorants, gels douche et sillages masculins, s’expliquera certainement autant par la découverte de molécules peu chères et efficaces, par la vision d’une masculinité bruyante et imposante, par la crise financière que par le paysage olfactif urbain. Reste que ces fragrances sans gêne et homogènes contribuent à la cacophonie des villes qui se joue sous notre nez.

Propositions pour une reconstruction olfactive

Les prémices d’une éducation olfactive
Il apparaît clairement que l’une des plus grandes urgences politiques en matière d’odorat consiste en la mise en place de modalités éducatives, qui d’abord passeraient par la visibilisation de ce sens. Son éducation non professionnalisante est actuellement presque inexistante : elle consiste surtout en une auto-formation, qui passe par la visite régulière de parfumeries, l’attention au goût ou la consultation d’ouvrages et de sites, dont la prise de connaissance relève encore largement du hasard ou de l’attrait accidentel. Lorsque l’on s’y intéresse finalement, les formations privées proposées sont souvent chères et centralisées dans les grandes villes, ou consistent en une « création de parfum » de quatre heures, qui ne permet pas d’appréhender la richesse des odeurs. Une poignée d’acteurs et d’actrices ont pourtant mis en place des modèles judicieux qui ne demandent qu’à être déployés. On soulignera notamment la démarche pionnière de l’Institute for Art and Olfaction à Los Angeles, née en 2012 à l’initiative de Saskia Wilson-Brown ; celle de l’association Nez en herbe fondée en 2017 par Roland Salesse pour la France, qui propose des interventions dans les établissements scolaires à partir de la maternelle ; le travail de conservation et de pédagogie de l’Osmothèque à Versailles ; et celui de Nez, le mouvement culturel olfactif, notamment autour d’ouvrages, d’ateliers et de tables rondes organisés par exemple dans les Bibliothèques de Paris. Notons cependant qu’en dehors des capitales, si les initiatives existent, elles n’ont pas la force ni la pérennité qu’un financement public pourrait leur donner. Une plus large éducation olfactive de la population est par ailleurs largement envisageable, utile et nécessaire, comme le montre l’exemple d’Atmo Normandie, association régionale de surveillance de la qualité de l’air qui a formé de nombreux « nez normands » en se basant sur les travaux de Jean-Noël Jaubert autour de son « Champ des odeurs ». Des outils sont donc disponibles et la méthodologie d’apprentissage mise au point. Ils permettent d’alerter sur les dangers industriels et d’assurer la qualité de vie de la population. Par ailleurs, la requalification de l’odorat ne saurait aller sans une juste appréhension de l’anosmie, qui doit de toute urgence être considérée comme un handicap par les pouvoirs publics, comme le demande depuis des années Jean-Michel Maillard, fondateur de l’association Anosmie.org. Il permettra un dépistage plus systématique, une prise en considération des dangers et problèmes qui y sont liés et l’accès à l’information et aux traitements lors d’anosmies non congénitales. Enfin, la mise en place d’une chaire universitaire d’olfaction permettrait par ailleurs d’assurer une visibilité à ce sens et de diffuser un savoir encore trop peu partagé, notamment en luttant contre la « chimiophobie » largement répandue dans la population, qui atteste d’une désinformation et d’une confusion surannée opposant chimie et nature, lutte qui seule permettra de poser la question des conséquences de l’industrie sur le vivant.

Porter attention au vivant
Il faudra aussi que cette éducation olfactive soit attentive au nez des vivants dans leur pluralité, et non pas seulement au nez humain et à la parfumerie : c’est là une nécessité face à l’urgence écologique qui demande que nous soyons capables d’entrer en écoute avec ce qui fait partie de notre monde. Si tout semble encore à imaginer dans ce domaine, certaines initiatives individuelles, comme celle de Clara Muller qui imagine des balades s’apparentant à des « sessions d’olfaction naturalistes », permettent d’en appréhender des formes possibles. Elles n’iront pas sans la recherche, qui doit donc bénéficier de subventions publiques plus nettes pour pouvoir mener des travaux de long terme sur les odeurs animales ou les parfums émis par les plantes, mais aussi pour voir émerger des projets interdisciplinaires inédits permettant une meilleure compréhension du monde, à l’instar du Groupement de recherche O3 ou GDR O3) du CNRS, regroupant quelque 150 chercheurs et chercheuses. Enfin, les discours publicitaires doivent urgemment être réformés pour cesser de tromper les citoyens et citoyennes : l’établissement de seuils d’utilisation minimums pour avoir le droit de revendiquer un ingrédient, proposé par Christophe Laudamiel, semble essentiel. Mais le geste doit aller plus loin, le marketing olfactif doit faire l’objet d’une réflexion importante, encore trop largement absente. Il doit par ailleurs être pensé dans le contexte actuel d’une crise écologique : la création de parfums pour une diffusion visant à augmenter le geste d’achat va à l’encontre de celle-ci. Elle va aussi à l’encontre de la sensibilisation à l’environnement olfactif réel, non manufacturé.

Le partage d’un sens
Dans certains lieux, le parfumage a d’ailleurs été interdit, notamment pour des raisons de sensibilité des citoyens et citoyennes. C’est le cas au Japon, dans la province de Nasu ; ou encore dans certains lieux publics du Canada et des États-Unis. Il faut pourtant souligner les risques d’une telle décision : elle peut être défavorable envers certains publics, comme l’a souligné le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal suite à une décision de la maire d’interdire l’accès aux bibliothèques publiques aux personnes « ayant une hygiène corporelle qui incommode les autres usagers ou le personnel ». Une réhabituation aux odeurs apparaît nécessaire, après le nettoyage hygiéniste. Elle permettra sans nul doute de lutter contre les préjugés et discriminations. Un exemple de cette rééducation peut être trouvé dans le projet Olfacto Gyneco, porté par Elia et Jeanne Chiche, qui entend éduquer aux odeurs vaginales encore entourées de tabou avec « un kit d’olfaction pour outiller une discussion gynécologique dans un but de découverte ou de prévention, et un carnet de suivi pour s’auto-olfacter chez soi, en toute autonomie ». Autre exemple, celui de l’odorisation des métros à l’attention des personnes malvoyantes, comme cela a déjà été expérimenté, peut constituer un modèle intelligent d’usage des odeurs dans les lieux publics, qui n’ait pas de but commercial. Le travail artistique autour de l’olfaction peut également être source de sensibilisation, de réflexion, d’attention particulière au nez dont on imagine aisément la valeur éthique.

Prendre la mesure des choses
Par ailleurs, traiter le surplus d’information olfactive par son abolition pure et simple risque encore de se faire à l’encontre des populations qui dépendent de la culture des plantes à parfums. Il sera donc absolument nécessaire d’établir, comme cherche à le défendre l’International Fragrance Association, une étude poussée et mondiale des conséquences de l’interdiction d’un ingrédient, qui peut causer de graves conséquences souvent portées de manière vitale par les paysans de pays pauvres. Cette remarque nous invite aussi à définir une injonction : il est nécessaire et urgent que la parfumerie rende compte du rôle des peuples colonisés – mais aussi des femmes des femmes – dans la création des produits de luxe et les rémunère à leur juste valeur, c’est-à-dire à la hauteur de ceux sans qui l’industrie n’existerait tout simplement pas. Il est par ailleurs grand temps qu’une étude poussée sur l’impact de la culture, de la cueillette, de la transformation et de l’usage des produits parfumés voie le jour, poursuivant un travail initié dans un dossier du site de Nez5. Plusieurs sociétés de composition, poussées par la demande des consommateurs, ont mis au point des logiciels de mesure de ces impacts, mais il n’existe pas un outil partagé et universel6. De tels dispositifs devront nécessairement être complétés par l’écoute réelle des besoins des populations qui produisent les matières premières que nous utilisons. Un long travail doit être inauguré en ce sens. Il permettra de sortir du culte du secret qui entoure l’industrie du parfum et qui ressurgit sur l’odorat, nimbé de mystères inutiles et pernicieux.

Le déploiement d’un environnement olfactif juste
Enfin, il en va d’un devoir éthique que de penser à une autre répartition de l’environnement olfactif, qui ne consiste pas en la systématique pollution des populations pauvres au profit des privilégiées. La prise en compte des désagréments olfactifs doit faire l’objet d’une cartographie systématique afin de remédier aux inégalités en la matière, mais elle doit aussi se compléter d’une étude poussée sur les conséquences à long terme des pollutions olfactives, et ce à l’échelle du vivant en général. On ne saurait accepter, au XXIe siècle, que certains perdent leur odorat ou vivent dans un environnement agressif pour satisfaire au plaisir d’autres qui baignent dans le parfum des fleurs et du linge propre.

Conclusion : le souffle d’un nouveau nez

La considération de l’odorat semble encore à ses balbutiements : le droit qui l’entoure, les savoirs qui le concernent, l’attention qui lui est portée sont à un niveau qui ne peut laisser espérer qu’une progression conséquente. Ils doivent faire l’objet d’une analyse plus compréhensive, car si l’attention qui lui est portée n’est actuellement pas nulle, elle reste disséminée dans un éclatement des connaissances. Il y a fort à parier que celui-ci ne soit pas totalement involontaire, il permet au contraire de faire perdurer ce que nous avons nommé « l’aliénation olfactive », source d’une exploitation des vivants ancrée dans la machinerie capitaliste. Les conséquences de cette aliénation participent, on l’aura compris, à notre déracinement du monde et à la crise écologique et sociétale actuelle à laquelle il est urgent de faire face. Qu’on ne craigne pas qu’une telle révision fasse pâtir la création : en invitant notre nez à sentir le monde, en le poussant à sa dimension éthique, nul doute qu’il fasse émerger des œuvres encore inimaginables. Car notre odorat nous invite à reconsidérer notre rapport au monde, qu’il s’agisse d’autres humains ou d’autres vivants. C’est là un devoir éthique essentiel.


L’intégralité de l’étude « J’éprouve donc je suis. Des politiques du sensible pour réhumaniser notre quotidien » est à télécharger sur le site de la Fondation Jean-Jaurès.

Retrouvez Jessica Mignot lors de la conférence « Réhumaniser le quotidien face à la brutalité du monde » le jeudi 30 janvier de 18h30 à 20h30 à la Fondation Jean-Jaurès (Paris 9e) . Cette conférence est accessible gratuitement et sur inscription sur le site de la Fondation.

Illustration : La récolte du poivre à Coilun dans le Livre des merveilles de Marco Polo. (source : Bibliothèque nationale de France / Gallica.)

  1. Jessica Mignot, « Nez x GDR 03 – Craquer le code combinatoire des odeurs », Mag by Nez, 22 décembre 2023. Toutes les autres sources de l’étude sont disponibles sur demande auprès de la rédaction, et également consultables en ligne sur le PDF téléchargeable gratuitement sur le site. ↩︎

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