Fondée en 2006, Van Aroma s’est spécialisée dans les matières premières indonésiennes, à destination de l’industrie alimentaire comme de la parfumerie. Aayush Tekriwal, CEO et Directeur du développement de l’entreprise, fils de l’un de ses fondateurs, revient sur son histoire, son évolution et ses ambitions
En quoi l’Indonésie est-elle un centre important pour le commerce des matières naturelles ?
Le pays exporte depuis longtemps des herbes et des épices. Clou de girofle, noix de muscade, noix de bétel, gingembre, curcuma, piment : tous ont été utilisés dans diverses industries, sous forme de condiments, d’huiles et de résines. Jusqu’à la fin des années 1970, ce commerce n’était pas réglementé et était même entouré d’un halo de secret : rien ne filtrait sur la production d’huiles essentielles, les chaînes d’approvisionnement et les parties prenantes. La spéculation et les arrangements sur les prix étaient monnaie courante. Un incident a tout changé en 1976 : un client occidental a payé une somme importante pour un conteneur d’huile de patchouli en provenance d’Indonésie, pour finalement ne recevoir que des fûts remplis d’eau. Ce scandale a entraîné la création de la Fédération internationale du commerce des huiles essentielles et des arômes (IFEAT), marquant un tournant important dans l’industrie.
Quand l’aventure a-t-elle commencé pour Van Aroma ?
Mon père fut l’un des principaux fondateurs de l’entreprise en 2006. Avec ses deux associés, il exportait principalement des épices brutes. Il a ensuite voulu se lancer dans le commerce des huiles essentielles parce qu’il était fasciné par l’industrie des parfums. À l’époque on avait grand besoin de producteurs fiables et transparents s’engageant à assurer une traçabilité totale. Il a réussi à se forger une bonne réputation dans ce secteur en commençant avec une seule huile essentielle : l’huile de noix de muscade. Van Aroma était reconnu pour cela, car nous étions l’un des principaux fournisseurs d’entreprises telles que Pepsi et Coca-Cola. À partir de là, de nouveaux clients ont voulu travailler avec nous et nous avons développé d’autres productions. Aujourd’hui, nos activités se développent en Europe, Amérique et Amérique latine.
Quelle est aujourd’hui l’étendue de votre catalogue ?
Nous travaillons plus de 120 plantes, mais 85 à 90 % de notre chiffre d’affaires se fait sur six d’entre elles : le clou de girofle, la noix de muscade, la citronnelle, le vétiver, le cacao, et aujourd’hui nous sommes connus pour être le leader de la production d’huile essentielle de patchouli car nous fournissons plus de 65 % du volume mondial depuis 2012. Nous avons également étendu notre expertise à tous les produits naturels d’Indonésie, qu’il s’agisse du kananga, du curcuma, du gingembre, du poivre noir, ainsi que d’extraits et dérivés d’huiles essentielles tels que les dérivés d’eugénol. Nous sommes aujourd’hui arrivés à une production très représentative des richesses locales !
Vous voulez dire que votre rôle n’est plus celui d’intermédiaire ?
Exactement, 100 % de ce que nous vendons est produit ou transformé par Van Aroma. Même si nous travaillons avec des milliers d’agriculteurs et de distillateurs, tout est traité ou homogénéisé avant d’arriver chez les clients. Nous pouvons donc garantir une qualité et un prix constants, car nous procédons nous-mêmes à la standardisation. Nos clients recherchent une grande régularité dans la qualité d’une commande à une autre, et nous pouvons offrir cela pour toute notre gamme de 120 plantes, y compris les plus rares.
Comment y parvenez-vous ?
Notre entreprise n’emploie que deux ou trois vendeurs, alors que nous disposons d’une équipe de 25 à 30 professionnels de l’achat qui interagissent quotidiennement avec les agriculteurs et les distillateurs dans toutes les îles d’Indonésie. Nous nous adaptons à chaque client, avec ses besoins propres, ce qui constitue un vrai défi dans la mesure où nous travaillons dans des secteurs très vastes. Un client de l’industrie des arômes et des parfums a forcément des exigences différentes de celles d’un client de l’industrie des savons, des bougies ou même de l’industrie pharmaceutique.
Cette approche différencie Van Aroma des autres producteurs locaux. En donnant la priorité aux besoins des clients et en maintenant un engagement fort auprès des fournisseurs, nous garantissons une chaîne d’approvisionnement cohérente, offrant aux clients l’assurance qu’ils recherchent.
Comment abordez-vous le monde des parfums et comment travaillez-vous avec les parfumeurs ?
De nombreux producteurs négligent l’importance de la créativité. Nous nous efforçons au contraire d’entrer en contact avec les parfumeurs et les formulateurs afin de comprendre les briefs qu’ils reçoivent et les ingrédients spécifiques qu’ils recherchent. Notre croissance à long terme en dépend. Nous consacrons beaucoup de temps à l’élaboration de mélanges ou de fractions uniques de matières premières, en utilisant des techniques telles que la distillation moléculaire et en donnant la priorité aux produits sans allergènes. Des efforts considérables en matière de recherche et de développement sont consacrés à la découverte de nouvelles molécules ou d’extraits de produits existants. Nous distribuons des échantillons aux créateurs dans le monde entier, afin qu’ils expérimentent et qu’ils puissent nous faire part de leurs commentaires ou des changements qu’ils aimeraient sentir. Il s’agit d’un travail particulièrement collaboratif. Les parfumeurs ont de plus en plus besoin de pouvoir créer quelque chose d’unique, c’est pourquoi nous travaillons avec les maisons de composition pour produire des ingrédients complexes qui peuvent parfois être exclusifs. Cela permet de différencier les parfums, mais aussi d’en améliorer l’attrait, parfois même de manière plus subtile qu’un travail de formulation complexe.
Quelles sont les plantes les plus difficiles à travailler ?
Je dirais que pour nous c’est le patchouli. Cette complexité provient de plusieurs facteurs. Le premier problème est l’identification des adultérants ou des contaminants. Comme le paysage réglementaire évolue très rapidement dans notre secteur, l’accent est mis sur les adultérants qui peuvent être nocifs pour la consommation humaine, tels que les phtalates, le DEP, le DEHP ou le DBP, ainsi que les glycols. Ces substances sont difficiles à identifier. Nous développons des méthodes d’analyse qui rendent pratiquement impossible l’entrée d’un produit contaminé.
L’huile de patchouli elle-même est assez complexe. Lorsqu’elle est fraîche, elle n’est pas très agréable à sentir. Il faut la stocker et la faire vieillir correctement pour qu’elle développe son arôme. La réglementation nous oblige à indiquer une date de péremption, mais elle n’en a pas vraiment. L’huile de patchouli est comme le vin, elle se bonifie au fil des ans. Nous avons donc mené des recherches approfondies pour comprendre le processus de vieillissement du patchouli, et nous explorons les méthodes permettant de le faire mûrir rapidement. Mais le vétiver, le cacao et la noix de muscade présentent aussi des particularités qui demandent une grande expertise.
Compte tenu de la diversité culturelle de vos clients, constatez-vous des différences de goût d’un pays à l’autre ?
Oui, absolument, certaines demandes sont propres à des régions identifiées. En Inde, par exemple, il existe un énorme marché pour des ingrédients tels que le baume gurjun et le benjoin, ce dernier n’étant pas seulement utilisé dans les parfums, mais aussi dans le tabac à chiquer. L’huile de noix de muscade est un cas à part : elle est utilisée en petites quantités dans les parfums, mais les plus gros utilisateurs sont les fabricants de soda. En ce qui concerne le patchouli, au Moyen-Orient et en Europe occidentale, on préfère la fraction de cœur à l’huile ordinaire, car elle incarne les notes clés du produit et se mêle bien aux formules.
Cela dit, malgré ces goûts régionaux, les particularités que nous avons observées se réduisent d’année en année. Les ingrédients de parfumerie sont de plus en plus globalisés, les produits les plus vendus dans l’industrie de la parfumerie sont distribués dans le monde entier. Par conséquent, les exigences distinctes des différents marchés diminuent au fil du temps.
Aujourd’hui, les clients sont de plus en plus préoccupés par la durabilité et le changement climatique, quelle est votre position sur le sujet ?
Cela fait longtemps que nous sommes engagés en faveur d’un commerce et d’une industrie durables, ce changement de paradigme est donc bienvenu. Le climat était beaucoup plus stable il y a quelques décennies. Aujourd’hui il est de plus en plus difficile de déterminer avec précision le moment d’une plantation ou un cycle de récolte. La prévisibilité de la chaîne d’approvisionnement s’est considérablement réduite. Cela a un impact sur les prix et amplifie la préoccupation pour le réchauffement climatique. Mais nous devons faire les choses bien. Certaines entreprises se laissent aller au greenwashing, et affichent des certifications de durabilité sur les réseaux sociaux tout en achetant de gros volumes de produits non certifiés et bon marché, sans se soucier de l’environnement ou des consommateurs. De notre côté, nous ne croyons pas en un capitalisme non durable et investissons beaucoup de temps, d’efforts et de ressources dans de véritables initiatives de développement durable.
Van Aroma est donc membre à part entière de l’UEBT (Union for Ethical Biotrade), nous sommes aussi inscrits sur SEDEX (Supplier Ethical Data Exchange), un système de reporting qui garantit notre transparence, et nous avons reçu le prix EcoVadis d’argent pour nos efforts en matière de développement durable en 2023. Par souci de transparence toujours, nous déclarons notre empreinte carbone sur CDP, le Carbon Disclosure Project, un projet de déclaration publique des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, cocher des cases ne suffit pas, c’est pourquoi nous nous efforçons de rendre la pareille aux communautés à la source de nos chaînes d’approvisionnement en patchouli et en clous de girofle. En tant que leaders dans ces domaines, nous avons développé des initiatives qui fournissent des semis, de l’éducation, et diffusent le savoir-faire agricole à travers des collaborations avec Symrise et DSM-Firmenich, ainsi que par le biais de deux chaînes YouTube : Nilampedia, une encyclopédie du patchouli, et Cengkehpedia, une encyclopédie du clou de girofle. Ces plateformes abordent différents sujets, notamment les défis auxquels sont confrontés les agriculteurs et les distillateurs, et proposent des solutions pour l’élimination des pesticides et des produits agrochimiques, ainsi que l’éducation à la gestion financière de base. Ces initiatives, qui ont vu le jour pendant la pandémie de COVID-19, lorsqu’il n’était pas possible d’organiser des formations en personne, ont prospéré depuis lors, avec succès.
Quel est le prochain défi pour Van Aroma ?
Nous souhaitons continuer à développer notre offre pour qu’elle soit la plus complète possible en ce qui concerne les produits indonésiens. Nous voulons être la référence incontournable pour les produits naturels et biodérivés locaux. Dans un premier temps nous nous étions concentrés sur l’industrie des arômes et parfums, mais nous avons su entamer une diversification qui nous permet de nous intéresser maintenant au caoutchouc, aux matières entrant dans la composition des textiles, etc.
Historiquement, les économies moins développées ont plutôt été des sources de matières premières et les économies développées ont produit les dérivés, les extraits, les produits raffinés. L’Indonésie étant une économie en plein développement, nous nous concentrons sur ces opérations d’extraction des produits naturels sur les lieux mêmes de leur production. Nous voulons apporter ici les procédés du monde entier, mais aussi développer de nouvelles technologies. Notre idée est de développer de nouveaux produits dérivés en Indonésie et d’en faire un symbole d’innovation à long terme.
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