En 2022, les chercheurs du Centre des sciences naturelles et médicales de l’université de Nizwa, à 150 km de la capitale omanaise, Mascate, ont réussi à décoder le génome de Boswellia sacra à partir d’ADN de la feuille fraîche d’encens. Un succès qui doit beaucoup à la persévérance des équipes de scientifiques omanais.
En 2022, les chercheurs du Centre des sciences naturelles et médicales de l’université de Nizwa, à 150 km de la capitale omanaise, Mascate, ont réussi à décoder le génome de Boswellia sacra à partir d’ADN de la feuille fraîche d’encens. Un succès qui doit beaucoup à la persévérance des équipes de scientifiques omanais. L’espèce d’arbre à encens qui pousse dans le sultanat est un peu la star des 24 espèces recensées : au terme de quatre ans d’études, les scientifiques ont élu Boswellia sacra comme le plus prometteur en matière thérapeutique, devant sept concurrents. Dans sa résine, ils ont identifié plus de 100 composés susceptibles de soigner. Parmi toutes ces molécules, les chercheurs ont notamment isolé l’encensol, dont les vertus anti-inflammatoires et antidépressives se sont révélées supérieures, et qui a également été utilisé en combinaison avec les acides boswelliques dans un remède contre le psoriasis.
Ces derniers, principaux constituants de la résine de sacra, seraient à l’origine des effets thérapeutiques les plus intéressants. Un type d’acides boswelliques apparaît même terriblement prometteur : l’acide acétyl-11-céto-β-boswellique (AKBA), un composé anti-inflammatoire puissant. Extrait depuis 2015, l’AKBA est disponible à hauteur de 3 % dans la résine d’encens.
Dans le Dhofar, où pousse l’arbre à encens, ces résultats n’étonneront personne. Au sein de cette région du sud d’Oman, chacun sait que boire de l’eau où macèrent des larmes d’encens permet de chouchouter son colon et de conserver sa mémoire. Dans la médecine du Moyen-Orient, les acides boswelliques sont employés dans le traitement des affections inflammatoires des articulations et des os, de la moelle épinière et des troubles respiratoires. Des études ont été menées sur l’effet analgésique de Boswellia sacra, confirmant le bien-fondé de l’utilisation traditionnelle de l’encens par les Omanais pour soulager les douleurs musculaires et gastriques.
Plusieurs dizaines de dérivés ont depuis été produits à partir de ce composant naturel, en vain jusqu’à ce jour. Des essais ont été mis en place pour accroître sa solubilité dans l’eau, afin d’en faire un médicament plus facile à ingérer. Des recherches ont aussi lieu pour augmenter la concentration d’acides boswelliques dans la résine d’encens. Car pour l’instant ce petit miracle se vend à prix d’or : 120 euros le milligramme !
En septembre 2025, l’université du Dhofar, à Salalah, accueillera la troisième Conférence sur l’encens et les plantes médicinales, où sont attendus une douzaine de conférenciers provenant de onze pays. Le sommet s’annonce prometteur, après deux publications scientifiques qui ont fait date en 2024. « L’encens est magique ! » confirme le professeur Luay Rashan, spécialiste de pharmacologie qui dirige le Laboratoire de recherche sur la biodiversité et l’encens de l’université du Dhofar. Cette structure étudie la « nourriture des dieux » sous un grand nombre d’aspects (chimiques, pharmacologiques, biologiques…) en collaboration avec plusieurs universités, en Allemagne, Suisse, Italie, Corée du Sud et Australie.
Boswellia sacra a été étudié pour ses effets anticancéreux potentiels. Il renforcerait le système immunitaire pendant les chimiothérapies. Et pourrait être utile dans la lutte contre le cancer de la peau. Les acides boswelliques ont également montré un effet antiprolifératif sur les tumeurs, notamment celles du sein et du cerveau. Les extraits alcooliques d’oliban, eux, inhibent la croissance des champignons, bactéries et autres microbes : ces propriétés ont d’ailleurs permis aux chercheurs de mettre au point un puissant désinfectant pour les mains à base d’encens pendant la pandémie de Covid-19.
Alors, Boswellia sacra, remède à tout faire pour soulager les maux modernes ? « Si l’encens était une panacée, cela se saurait, » sourit Xavier Fernandez, professeur de chimie à l’Institut de chimie de Nice. Les propriétés anti-inflammatoires d’un ingrédient ne suffisent pas à en faire un médicament, met en garde le scientifique. Et son usage pourrait être délaissé au fil du temps, car d’autres produits sont mis au point, moins chers, plus simples, plus efficaces. « C’est comme lorsqu’on parle des vertus du chocolat : il contient bien du magnésium qui permet de lutter contre le stress, des polyphénols, aux nombreuses vertus, et du cuivre, efficace contre les cheveux blancs. Mais il faudrait en manger plusieurs kilos par jour pour observer une réelle activité biologique ! »
L’huile essentielle d’oliban est en revanche utilisée avec succès par les aromathérapeutes dans les services de soins palliatifs, indique Xavier Fernandez. Des études ont montré une amélioration de la qualité de l’existence des personnes en fin de vie. Plusieurs articles ont également été publiés afin de démontrer l’effet de Boswellia sacra sur le système nerveux. Ils soulignent l’action de l’encensol, une molécule susceptible de réduire le stress et l’anxiété en favorisant détente, bien-être et relaxation. Jusqu’à soigner la dépression ? Les recherches se poursuivent… Rappelant une fois de plus que la frontière entre l’olfactif et le thérapeutique peut être ténue, à l’image du kyphi des Égyptiens, ce « parfum deux fois bon » qui soignait à la fois le corps et l’esprit.
Voir le site Wadi Dawkah (anglais/arabe) : https://www.wadidawkah.com
AU SOMMAIRE DE NOTRE GRAND DOSSIER « WADI DAWKAH »
- Oman, une position stratégique dans le Golfe
- Dominique Roques : « Travailler sur un projet multifacettes autour de l’arbre à encens est une opportunité merveilleuse »
- Renaud Salmon : « Le Wadi Dawkah sert de projet pilote pour l’industrie de l’encens à Oman »
- Wadi Dawkah, la terre de l’encens (Podcast)
- Le parfum, un véritable mode de vie au Moyen-Orient
- Sterenn Le Maguer-Gillon et Dominique Roques – Wadi Dawkah : La Route de l’encens (Podcast)
- La Route de l’encens, par Sterenn Le Maguer-Gillon
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