Karine Lebret - L'Oréal

Qu’est-ce qu’une cellule olfactive ? – Karine Lebret (L’Oréal)

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Comment travaille un grand groupe pour développer un nouveau parfum ? L’Oréal, qui détient notamment les licences Yves Saint Laurent, Giorgio Armani ou Prada, ainsi que les marques Lancôme et Atelier Cologne, se distingue par la présence dans son organisation d’une cellule olfactive. Quel est son rôle ? En quoi ce fonctionnement est-il particulier ? Comment s’articulent les relations avec les maisons de composition ? Les réponses de Karine Lebret, directrice de la création et du développement des parfums chez L’Oréal Luxe.

Quand la cellule olfactive de L’Oréal est-elle née ?

Je l’ai créée en 2001. C’était une période charnière, L’Oréal continuait à acheter de nouvelles marques, et la cadence des lancements augmentait significativement. Il fallait professionnaliser le développement de parfums au service des marques, élaborer une vraie vision olfactive, une écriture distinctive pour chacune d’elles, avec une complémentarité des gammes. Jusque-là, le développement n’était pas vraiment institutionnalisé : parfois, des consultants intervenaient ; dans d’autres cas, le marketing travaillait directement avec les sociétés de composition. Nous avons mis en place une organisation triangulaire entre la marque, les parfumeurs des différentes maisons et la cellule olfactive, qui joue le rôle de directeur de création et d’interface entre les deux mondes. 

Comment l’équipe est-elle composée ?

Nous sommes quatorze, issus de formations scientifiques et olfactives. Chaque nouveau membre de l’équipe suit un programme précis afin de parvenir à une évaluation non émotionnelle, répondant à deux questions principales : ce parfum convient-il à telle ou telle cible ? correspond-il à l’éducation olfactive de tel ou tel pays ? 

De quelle manière la cellule fonctionne-t-elle ?

La plus grande partie de notre temps est consacrée à la recherche olfactive, et l’élément déclencheur de notre travail est toujours une matière première innovante, que ce soit un naturel, une molécule captive, une fraction ou encore un arôme. Le développement global se déroule en deux étapes : la prospective olfactive pour enrichir les idées à fort potentiel, puis le codéveloppement avec nos marques. Les parfumeurs de notre core list sont briefés en fonction des tendances : la végétalité, les nouvelles addictions, le clean, le retour des fleurs… 

Chacun, au sein de la cellule, est responsable d’une collection dans un pôle et analyse la concurrence, les marchés, développe une vision ainsi qu’une stratégie olfactive pour son portefeuille de parfums, selon le style de chaque marque (une grande élégance et de la sobriété chez Armani, un côté plus opulent et ostentatoire chez Saint Laurent…). Nous partageons en permanence avec les équipes marketing ce vivier d’accords à fort potentiel, réservés auprès des maisons de composition. Si une de ces notes n’est pas utilisée au bout de six ans, le parfumeur reprend ses droits sur elle. 

Pouvez-vous nous raconter le développement d’un parfum en particulier ?

Cinq ans avant la sortie de Black Opium d’Yves Saint Laurent, nous nous sommes posé la question des nouvelles addictions, en essayant d’échapper aux notes gourmandes qui régnaient sans partage depuis Angel de Mugler, et nous avons pensé au café. Chez Nespresso, à Lausanne, nous en avons senti de nombreuses variétés. Puis nous avons travaillé plusieurs années, avec des parfumeurs de différentes sociétés, sur des accords pour homme et pour femme. L’un d’eux, développé avec Firmenich, nous semblait particulièrement intéressant et sophistiqué. Quand les équipes d’Yves Saint Laurent nous ont expliqué qu’elles voulaient lancer un nouvel Opium, qui soit young, edgy luxury [du luxe branché et jeune], une nouvelle addiction, justement, nous avons pensé à ce fameux accord. Nous avons alors façonné un café avec la marque, en guidant les parfumeurs toujours en course jusqu’au choix final. Cette méthodologie unique libère la créativité, rend le développement moins précipité, plus fluide. D’ailleurs, de plus en plus de nos concurrents s’en inspirent !

Cet entretien est tiré de :
Le Grand Livre du parfum – Pour une culture olfactive, 2e édition augmentée, 240 pages, Collectif, Nez éditions, 2020, 30€

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