Calice Becker

Calice Becker : « Le but ultime serait de voir la création de parfum reconnue comme œuvre de l’esprit »

La parfumerie sera-t-elle un jour reconnue comme un art ? Depuis 2013, la Société Internationale des Parfumeurs Créateurs (SIPC) œuvre à une reconnaissance plus large du métier de parfumeur. Elle rendra publique début 2021 une charte définissant les droits et les devoirs qui s’appliquent à la profession. Une première étape pour espérer un jour voir la création de parfum reconnue comme œuvre de l’esprit par le Code de propriété intellectuelle. Calice Becker, présidente de la SIPC, a répondu aux questions de Nez.

Pourquoi la Société internationale des parfumeurs-créateurs a-t-elle été créée ?

En 2012, Frédéric Mitterrand, alors ministre de la culture, a remis les insignes de chevalier des Arts et des Lettres à cinq parfumeurs, affirmant que l’intelligence du nez devait être reconnue comme celle de la main. Cette phrase a résonné comme une injonction. Quelques mois plus tôt, une réflexion pour valoriser, promouvoir et défendre la profession avait déjà été engagée autour de 11 membres fondateurs (Maurice Maurin, Raymond Chaillan, Maurice Roucel, Jean Guichard, Patricia de Nicolaï, Dominique Ropion, Sylvie Jourdet, Olivier Cresp, Thierry Wasser, Christopher Sheldrake, et le président de la Société Française des Parfumeurs, Patrick de Saint Yves). La Société Internationale des Parfumeurs-Créateurs s’est constituée en association à but non lucratif en 2014. Elle compte aujourd’hui plus de 300 adhérents. Sa première action a été de déposer le nom de parfumeur-créateur à l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle). Le but ultime serait de voir la création de parfum reconnue comme œuvre de l’esprit. Mais quand j’ai succédé à Raymond Chaillan à la présidence en 2017, je me suis rendu compte que le métier de parfumeur n’a d’existence officielle nulle part, ni au ministère de la culture, ni au ministère de l’industrie, ni pour le label « entreprise du patrimoine vivant ». Or pour espérer être reconnue, il faut d’abord que notre profession soit davantage définie et encadrée.

Comment expliquer que ce ne soit pas le cas jusqu’ici ?

Ce métier n’a jamais été fédéré. Sous l’Ancien Régime, il existait une corporation des maîtres gantiers parfumeurs, dissoute à la Révolution. Puis la parfumerie moderne est née au moment des Expositions universelles, autour de personnalités comme Aimé Guerlain, avec une sorte de gentleman agreement et des règles tacites. Et jusqu’à aujourd’hui, cela continue : nous sommes formés dans des écoles, nous apprenons auprès de nos mentors : « cette pratique, il faut l’encourager » ou « cela ne se fait pas », mais il n’y a pas de définition et de règles officielles s’appliquant à notre métier. Cela s’explique sans doute par le fait qu’il a longtemps été régi par la culture du secret. Les parfumeurs ne signaient pas leurs œuvres, un peu comme des nègres en littérature. C’est moins le cas aujourd’hui, mais il est toujours très difficile d’avoir des discussions entre grandes sociétés. La charte du parfumeur-créateur permettra de mettre les choses au clair et de poser un cadre.

Comment est-elle élaborée ? 

Pour l’écrire, il fallait que nous nous mettions d’accord sur ce que nous sommes. Nous avons fait mener une vingtaine d’entretiens qualitatifs auprès de parfumeurs partout dans le monde, débutants ou confirmés, issus de petites comme de grandes maisons, travaillant pour des marques indépendantes, ou dirigeants de grandes sociétés. Ces interviews ont soulevé des problématiques qui nous ont permis de mettre sur pied un questionnaire quantitatif auquel nous avons reçu 220 réponses. Nous nous sommes ensuite attelés à la rédaction de la charte, que nous sommes en train de finaliser. Elle sera revue par un avocat pour pouvoir servir de jurisprudence en cas de litige, puis votée par le bureau. Elle sera publiée début 2021 et distribuée dans les écoles de parfumerie. 

Quelles seront les grandes lignes de la charte ?

Aujourd’hui, n’importe qui peut se dire parfumeur en achetant deux huiles essentielles. La raison d’exister de la charte est un peu la même que celle de l’Ordre des médecins. Elle abordera les droits et les devoirs du parfumeur à travers différents thèmes : la formation, le respect des règles IFRA (International Fragrance Association, qui réglemente l’usage des ingrédients en parfumerie), les comportements éthiques, la question de la copie… 

Quels sont les autres projets de la SIPC ?

Parmi nos grandes missions figure aussi la création à Paris d’un Institut ou d’un Conservatoire du parfum qui pourrait accueillir le public comme les professionnels et apporter des informations sur les matières premières naturelles, la synthèse, les normes… Ce nouveau lieu permettrait de donner de l’ampleur à l’Osmothèque, qui est aujourd’hui hébergée à l’ISIPCA (Institut Supérieur International du Parfum, de la Cosmétique et de l’Aromatique alimentaire). C’est un projet très ambitieux porté également par la Société française des parfumeurs et la Société des amis de l’Osmothèque. Il s’est professionnalisé avec l’intégration d’une personne spécialiste du montage des lieux culturels ouverts au public, qui a été commissionnée pour définir le cahier des charges du projet, afin que nous puissions lever des fonds. 

Enfin, nous permettons de rapprocher les parfumeurs de l’IFRA. Ils se sentent souvent empêchés par son existence, alors que c’est une association fondée par les parfumeurs eux-mêmes pour garantir l’innocuité des compositions et pour que le parfum soit un plaisir, pas un risque. Avec la SIPC, les parfumeurs peuvent s’investir auprès de l’IFRA en partageant leur connaissance de l’usage des ingrédients et de leurs qualités olfactives.

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