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Diplômée de l’Isipca, Irène Farmachidi commence sa carrière au sein du Laboratoire Monique Rémy (aujourd’hui LMR Naturals by IFF), avant d’entrer chez Dragoco (aujourd’hui Symrise), où elle apprend le métier de parfumeur aux côtés de Dominique Ropion et Maurice Roucel, puis Charabot. En 2011, elle rejoint Technicoflor. En parfumerie naturelle, elle a notamment signé Toï Toï Toï, 28°, Yvonne et Papier carbone pour Ormaie. En parfumerie conventionnelle, on lui doit Florentina, Lilylang, Vangelis, Osiris, Virgile, Ozkan pour Sylvaine Delacourte, Parfum prodigieux floral et L’Eau exaltante – Rêve de thé de Nuxe ou encore Patchouli de Minuit et Gaïac Mystic pour Givenchy.
Qu’est-ce qui vous a menée à la parfumerie naturelle ?
Je me suis intéressée au naturel avant que cela ne devienne une demande de la part de mes clients. J’ai débuté chez LMR, une société spécialisée dans les matières premières naturelles. Je voulais apprendre à formuler, et j’avais surtout des matières premières naturelles à ma disposition. Sentir tous les matins les fraîches distillations de ces matières m’a donné envie de les marier et j’ai commencé comme ça ! Aujourd’hui, les parfums naturels représentent 30% des demandes de mes clients et la courbe est exponentielle.
Les parfums naturels ont-ils quelque chose de spécial à vos yeux ?
Le naturel fait rêver : on imagine les champs, une histoire… Il y a quelque chose de romantique dedans, une vibration et une beauté particulière. Mais un bon parfum naturel est celui dont on ne se dit pas lorsqu’on le sent qu’il s’agit d’un parfum 100% naturel. La magie doit s’opérer dans l’olfaction, la qualité des matières premières. Attention, je ne dénigre pas pour autant les parfums conventionnels. Il existe plusieurs beautés.
Combien de matières premières avez-vous à disposition lorsque vous formulez en naturel ?
J’ai 1000 matières premières dans mon orgue lorsque je formule un parfum conventionnel, j’en utilise environ 300 quand je suis la norme ISO 9235 [qui autorise les huiles essentielles, les concrètes, les absolues, les résinoïdes, les extraits CO2, les isolats issus d’huiles essentielles comme le géraniol ou l’alcool phényléthylique et les ingrédients obtenus par bioconversion à partir de matières premières naturelles], encore moins quand je travaille en Cosmos [label dont le cahier des charges écarte les concrètes, absolues, résinoïdes et les ingrédients obtenus par bioconversion dont l’obtention implique des solvants synthétiques].
De quelle manière cette palette plus réduite impacte-t-elle votre créativité ?
Elle l’impacte dans un sens positif : si on retire le bleu dans une palette de peintre, il reste encore beaucoup de couleurs disponibles, et on peut composer un morceau de musique avec une seule note. Mais cela oblige à se creuser la tête…
Certaines molécules synthétiques sont très employées en parfumerie conventionnelle, comment faites-vous sans elles ?
Ce qui manque, c’est là que réside tout le défi. Il faut un certain savoir-faire pour contourner les problèmes, et obtenir les effets qui nous manquent, comme les notes marines, musquées, boisées ambrées, ou certaines notes vertes. Pour ma part, j’essaie de retrouver ces facettes dans d’autres ingrédients. Il est maintenant possible d’utiliser l’indole dans des parfums naturels, sous forme d’isolat naturel. Mais ça n’a pas toujours été le cas, et cette molécule me manquait, pour faire un muguet par exemple, car elle est présente dans de nombreuses notes florales. J’utilisais alors le jasmin sambac, qui présente des facettes indolées. Je ne vais pas vous révéler tous mes secrets, mais pour remplacer les muscs, j’utilise également des naturels qui me permettent d’obtenir le même effet. On formule en faisant des périphrases, c’est comme un jeu. Petit à petit, on prend des réflexes et on se forge un savoir-faire, et finalement ce n’est pas plus long de formuler en 100% naturel qu’en conventionnel : la fois suivante, on peut décliner les mêmes accords.
Au-delà de cette palette réduite, quelles sont les grandes différences dans la formulation ?
Formuler un parfum naturel, c’est aussi faire des formules plus courtes. À quoi bon mélanger trop d’huiles essentielles ensemble alors que chacune d’entre elles est presque un parfum à elle seule ?
Comment s’est déroulée votre collaboration avec la marque Ormaie ?
Pour la création de leurs parfums, j’ai eu beaucoup d’échanges avec la marque. Pour 28° par exemple, on m’a donné la référence de l’été, les fleurs blanches qu’on peut sentir dans le sud, le monoï que l’on se met dans les cheveux mais aussi des références littéraires comme les soleils blancs dont parlait Rimbaud ou la chaleur au début de L’Étranger de Camus. Seule la beauté de la création importait, peu importe le prix… Le rêve pour un parfumeur !
Travaillez-vous avec des concentrations différentes en naturel et en conventionnel ?
De manière générale, on a tendance à moins doser en naturel car les ingrédients sont plus puissants. Il y a aussi une question de coût : les concentrés 100% naturels sont souvent plus chers que les conventionnels. Je ne peux pas vous donner de prix tant il peut y avoir une énorme différence d’un parfum à l’autre ; comme en parfumerie conventionnelle, d’ailleurs.
La parfumerie naturelle est en pleine expansion, comment voyez-vous son avenir ?
Je pense qu’elle va continuer à se développer mais qu’elle restera minoritaire, un peu comme le bio dans l’alimentaire : il ne faut pas oublier que le 100% naturel coûte plus cher et qu’il existe d’autres beautés. Je crois plus largement au développement des produits responsables. Chez Technicoflor, nous sommes notamment très attentifs au sourcing de nos matières premières naturelles et à la biodégradabilité de nos ingrédients.
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- Suivre Irène Farmachidi sur Instagram : @irene_farmachidi.perfumer
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