Au menu de cette revue de presse, le rôle de l’olfaction dans l’art contemporain, les senteurs vues par les philosophes et le retour de l’enfleurage du muguet.
Que sentaient la Mésopotamie ancienne ou Londres au XIXe siècle ? L’odorat, longtemps considéré comme le parent pauvre des sens, connaît ces derniers temps une réhabilitation dans de nombreuses sphères, et c’est notamment le cas en histoire, où le décryptage des odeurs du passé devient un nouveau champ d’études. Dans une interview à Usbek&Rica, l’archéologue Barbara Huber raconte ainsi comment une équipe de l’institut Max Planck en Allemagne utilise la technologie biomoléculaire pour y parvenir, et en quoi cette dimension sensorielle peut nous éclairer sur de nombreux aspects de l’histoire de l’humanité : la parfumerie bien sûr, mais aussi le commerce, ou encore les hiérarchies sociales.
À Prague, des chercheurs de l’Académie des sciences de République tchèque se sont quant à eux donné pour objectif de reconstituer les fragrances de l’Antiquité grecque et égyptienne, nous apprend Radio Prague international. Recherches archéologiques, sources littéraires de l’époque, textes médicaux grecs et inscriptions sur les murs des temples égyptiens doivent les aider dans cette entreprise.
Odeurs et histoire, c’est également le sujet qu’aborde Matthieu Garrigou-Lagrange dans un épisode de Sans oser le demander sur France Culture. La chercheuse Brigitte Munier, auteure de Odeurs et Parfums en Occident – Qui fait l’ange fait la bête, y relève un paradoxe : alors que nous n’avons eu de cesse depuis l’Antiquité de chercher à nous entourer de senteurs agréables, le sens de l’odorat a été constamment discrédité au profit de la vue et de l’ouïe, jugées plus nobles.
Ce primat de l’oeil sur le nez a longtemps été la règle dans le domaine de l’art, mais là aussi, la situation évolue : l’art contemporain s’empare de plus en plus de la question de la création olfactive, souligne Marie Sorbier dans Affaire en cours, toujours sur France Culture. Les futuristes, les dadaïstes ou Marcel Duchamp faisaient déjà appel à l’odorat, note l’historienne de l’art Sandra Barré, mais « ce qui est nouveau cependant, c’est la manière d’envisager l’odeur au cœur des institutions, des musées, des galeries mais aussi au sein de la critique théorique ».
C’est précisément la senteur de la Loire qui était au cœur de l’installation « L’effluve des fleuves », présentée par Chloé Jeanne à l’occasion de sa résidence à l’espace Mode d’Emploi à Tours cet hiver. Pour la recréer, l’artiste plasticienne a interrogé la perception des habitants. C’est Veronika Rebeka Csatlovszky-Nagy, parfumeuse chez Cinquième sens, qui a interprété les impressions recueillies à l’aide de notes aquatiques, d’herbe coupée, de mousse et d’une touche de cuir.
Et la ville de Reims, quelle est son ambiance olfactive ? Arnaud Steffen, dirigeant d’une agence de communication, a pour projet de compiler dans un livre les odeurs qui font l’identité de la ville, entre biscuiteries historiques, moût de raisin pendant les vendanges, friandises du marché de Noël, effluves de pierres et de cierges de la cathédrale et relents de jus de betterave des sucreries voisines, nous dit Le Parisien.
Des facettes riches et variées qui pourraient sans doute inspirer des étudiants à l’Isipca. Philosophie magazine nous propose un reportage au sein de l’école de parfumerie de Versailles, offrant une plongée dans des cours d’olfaction ou d’aromatique alimentaire. L’occasion d’apprendre également que Gaston Bachelard a écrit sur l’arôme onirique de la menthe aquatique et Théophraste sur le « pourrissement » de la transpiration.
Vous avez certainement une préférence pour la première plutôt que pour la seconde, et à l’autre bout du monde, des personnes à la culture et au mode de vie complètement différents du vôtre feraient probablement le même choix, si l’on en croit une étude publiée dans Current Biology. Notre appétence ou notre dégoût pour les odeurs seraient déterminés à 41% par la structure de la molécule odorante et seulement à 6% par le milieu culturel de chacun, le reste étant affaire de préférence personnelle, selon Sciences et avenir.
Si les produits antimoustiques sont conçus pour repousser universellement les moustiques, ces derniers sont capables de mémoriser leur odeur et ainsi de les éviter, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Scientific Reports, relayée par Géo. Des tests en laboratoire ont en effet révélé que la plupart des femelles qui ont survécu à des insecticides sont ensuite capables de reconnaître l’empreinte olfactive de cinq molécules qui y sont couramment utilisées.
Molécules contre essences, synthèse contre naturel : cette opposition, encore largement présente dans l’esprit du grand public, n’a pas de sens, rappelle Slate. Le site souligne que l’arrivée des molécules de synthèse en parfumerie a permis davantage d’audace et de créativité, tandis que les matières premières naturelles, souvent considérées comme forcément bienfaisantes, sont au contraire celles qui posent des problèmes d’allergies et de photosensibilisation. La parfumerie du futur les rapprochera-t-elle, entre naturels écoresponsables et ingrédients issus de la chimie verte[1]Voir l’article de Sylvain Antoniotti Chimie durable et parfumerie : assurer notre développement sans compromettre la capacité des générations futures à assurer le leur ?
C’est la synthèse qu’utilisent d’ailleurs les parfumeurs pour introduire une note muguet dans une composition, les petites clochettes blanches ne livrant pas d’extrait odorant exploitable en quantité suffisante. Mais cela pourrait changer : près de Nantes, la société AB 1882 mène des expérimentations afin de remettre au goût du jour la technique de l’enfleurage traditionnel, abandonnée depuis les années 1930, selon Ouest-France. Rappelons aussi que même si le muguet est souvent qualifié de fleur muette, Robertet proposait également dans les années 1950 un Butaflor muguet extrait grâce au butane liquéfié.
Et pour terminer cette revue de presse, on ne peut que se ranger à l’avis du Guardian, qui s’inquiète de notre désengagement sensoriel croissant ces dernières décennies face à ce que nous mangeons, entraînant une hausse des troubles de l’alimentation. Aliments suremballés, fruits prédécoupés et produits transformés, souvent avalés face à un écran, nous ont menés bien loin de la vigilance nécessaire des chasseurs-cueilleurs face à leur nourriture. La bonne nouvelle, c’est qu’il suffit de prêter véritablement attention à ses cinq sens, et notamment à son odorat, pour mieux manger.
Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !
Visuel principal : © Morgane Fadanelli
Notes
↑1 | Voir l’article de Sylvain Antoniotti Chimie durable et parfumerie : assurer notre développement sans compromettre la capacité des générations futures à assurer le leur |
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